Scènes

A Thousand Miles Away

Qu’aurait fait Miles de l’électro et du numérique ? En clôture du RhinoJazz, Electrofacto et la compagnie du Facteur Soudain ont imaginé une œuvre iconoclaste en hommage au trompettiste disparu, mais pas seulement. Jean Méreu, Fred Roudet et Alex Tassel se sont chargés de la trompette.


Qu’aurait fait Miles de l’électro et du numérique ? En clôture du RhinoJazz, Electrofacto et la compagnie du Facteur Soudain ont imaginé une œuvre iconoclaste en hommage au trompettiste disparu, mais pas seulement. Jean Méreu, Fred Roudet et Alex Tassel se sont chargés de la trompette.

De nombreuses affiches, petites et grandes, une myriade de scènes, urbaines ou rurales, la 34e édition du Rhino Festival a pris fin avec ce mois de novembre 2011. Une édition particulièrement longue, comptant une partie estivale et l’édition d’automne qui, de Lyon à Saint-Etienne en passant par Vienne, a largement écumé les paysages et lieux méconnus de la Loire.

Miles Davis a disparu en septembre 1991. Parmi les spectateurs qui avaient assisté à son concert à Vienne en juillet de cette année-là, beaucoup ont mal vécu (pour anecdotique que ce soit) le décès de cette figure familière du festival. Tout de rouge vêtu, penché vers la terre avec ses musiciens, à la recherche du son ultime, de l’harmonie parfaite…

Symboliquement, vingt ans plus tard (c’était le 20 octobre 2011) trois excellentissimes trompettistes se sont retrouvés côte à côte dans le petit théâtre de Vienne pour jouer un étrange répertoire conçu et voulu par Electrofacto : montrer où en serait sans doute aujourd’hui la musique de Miles s’il ne s’était pas « absenté », ce qu’il aurait tiré de l’électronique et du numérique, quelle place il aurait ménagée aux pads et autres Mac devenus plus courants que les pianos Fender et les orgues Hammond. D’où cet « A Thousand Miles Away » en clôture du RhinoJazz. Un set, un seul. Riche, dense mais trop court, bien sûr.

Yann-Gaël Poncet, qui danse avec sa tablette collée à l’oreille comme Jean-Luc Ponty tenait son violon il y a des décennies, figure bien la distance parcourue. Et loin d’un hommage figé, c’est plutôt une invitation dans l’univers de Miles, sa façon de la vivre, perpétuelle métamorphose, musique « vivante » si l’on ne craint pas le pléonasme.

Pour mener à bien ce projet qu’ils ruminent depuis plusieurs années les membres d’Electrofacto (Jean-Paul Hervé, Philippe Gilbert, Yann-Gaël Poncet et Olivier Genin) ont donc eu l’idée de s’adjoindre Jean Méreu, Fred Roudet et Alex Tassel - trompettes et bugles ; pour faire briller les multiples facettes du légendaire instrument. Ils ont sauté sur l’occasion, sans doute avec des approches différentes : il faudra qu’un jour Méreu conte l’influence qu’a eu Miles sur la naissance et le devenir de l’Arfi.

Quoi qu’il en soit, ce qui devait arriver arriva : une musique pas seulement revisitée, mais des thèmes qu’Electrofacto s’approprie avec générosité et réinterprète avec jubilation. Des thèmes parmi les plus familiers, piochés dans les allers sans venue de Miles, et qui sont autant de points d’évolution à peu près repérables dans la course contre la croche qu’il avait engagée. Le concert a atteint son but, faire ressurgir le tout sans tomber dans le « tribute » et la nostalgie, depuis le travail sur la note, toujours plus épurée, confié à Alex Tassel, jusqu’au son de sourdine caractéristique, ici fourni par Jean Méreu, l’ensemble planant sur les démultiplications agiles de Fred Roudet. Trois pour un Miles, trois hommes pour réinventer les notes en apesanteur aux allures de bulle de savon que sut lancer le trompettiste jusqu’au soir de sa vie. Derrière, à côté, au-dessus, Electrofacto tisse l’écrin attendu : sons électro entêtants, élaborés, guitares et drums en guetteurs, saxophone puissant en avant-poste. Tout Miles, quoi.

par Jean-Claude Pennec // Publié le 26 décembre 2011
P.-S. :

En attendant une reprise d’A Thousand Miles Away, on pourra regarder un petit film retraçant la genèse du concert.