Chronique

À la vie la mort

Collectif ARFI

Jean Méreu (tp, appeaux), Laurence Bourdin (vielle à Roue), Jean Aussanaire (as, ss), Bernard Santacruz (b), Jérôme Lopez (vidéo), Christophe Schaeffer (scénographie, lumière), Thierry Cousin (son)

Label / Distribution : ARFI

Exposé au Prado de Madrid, Le Triomphe de la Mort de Pieter Bruegel fait partie des œuvres hallucinées du XVIe siècle flamand dont la somme des détails signifiants vaut toutes les histoires. Cette luxuriance a fondé le parti-pris de quatre musiciens du collectif ARFI, qui ont créé un spectacle autour de ce tableau. Ou plus exactement au cœur de ce tableau [1], ce qui donne vie à ce DVD.

Autour du trompettiste Jean Méreu, figure de l’ARFI et plus globalement du jazz français, les musiciens évoluent en effet dans un dispositif scénographique ingénieux que le DVD nous révèle. Au gré des lumières, visages et mains apparaissent, libérant des solos ou des alliances soudaines. Le propos n’est pas descriptif - il s’intègre dans la scène où chacun des instruments est représenté. Via l’allégorie (les trompes qui évoquent la trompette de Méreu et les saxophones de Jean Aussanaire ou les luths la contrebasse de Bernard Santacruz) ou plus directement : la vielle à roue de Laurence Bourdin, belle surprise de cet objet audiovisuel étrange et poétique ; au centre du quartet, elle est la rythmique lancinante et fragile qui conduit la litanie des morts. Elle incarne également l’harmonie de timbres qui la lie aux deux soufflants, avec une grande délicatesse, dans « La mort et la charrette », qui expose les suppliciés comme une pluie de visages, ou son duo avec Santacruz, auquel s’amalgame peu à peu le jeu heurté d’Aussanaire. Certainement un des sommets du film.

Parfois, le vidéaste Jérôme Lopez, dont le travail de scénarisation est à louer, retire un à un les personnage du tableau. N’y reste qu’un aplat de couleurs où les musiciens naviguent. Ce qui ne pourrait être qu’une lande désolée prend alors des allures de Renaissance dans le « Lamento d’Arianna » de Monteverdi que Méreu adapte avec beaucoup d’éclat. « Seule la musique », annonce l’une des plages du DVD. Il n’est pas seulement question des survivants, en bas à droite du tableau, deux amoureux qui chantent courtoisement en s’accompagnant au luth. Seule la musique nous sauve de ce Memento mori onirique. La force d’A la vie la mort est d’intégrer les questions existentielles que soulève Le triomphe de la Mort dans une musique simple et belle qui voyage avec nous dans ce tableau universel. Dans les très intéressants bonus du DVD (où il manque néanmoins des « coulisses » expliquant mieux le dispositif), Méreu dit qu’adapter ce tableau relevait du fantasme ; devenu réalité, c’est pour le spectateur qu’il devient magie. Même si le spectacle est avant tout à découvrir sur scène, le DVD rend grâce à ce tableau-concert.