Chronique

AUM Grand Ensemble

You’ve Never Listened To The Wind

Label / Distribution : Onze heures onze

Tu n’as jamais ouï passer le vent.
Ce que tu lui as entendu dire était mensonge,
Et le mensonge se trouve en toi.

Le texte de Fernando Pessoa tiré du Gardeur de Troupeau, recueil de poésie paru il y a plus de cent ans, sied parfaitement à la musique de Julien Pontvianne, le multianchiste à l’origine de ce Aum Grand Ensemble (AGE) qui nous avait valu Silere, il y a plus de deux ans. La formule a évolué, mais elle reste dans un champ voisin : treize musiciens et un chef d’orchestre [1] qui investissent les territoires étranges et très oniriques des franges du silence où se croisent toutes sortes de vocables normés : contemporain, improvisé… Ce que les anglo-saxons appellent avec justesse Creative Music. Sous cette bannière évoluent les nombreux artistes composant cet orchestre, de Jean-Brice Godet à Antonin-Tri Hoang, deux membres du quartet WATT de Pontvianne, mais aussi Richard Comte ou Simon Tailleu, fondus dans une masse qu’on aurait tort d’imaginer diaphane.

Pessoa tente de nous le dire avec force symbolisme dans son recueil, et AGE le reprend à son compte dans le premier mouvement. Il est garni de déflagrations soudaines, ces tutti impeccablement agencés à la fois fertiles et dévastateurs où les percussions de Julien Loutelier et Stéphane Garin viennent annoncer le chaos, souvent habité par les tintements expansionnistes d’Amélie Grould. La percussion clavier acquiert une place majeure dans un orchestre pourtant peu porté sur les individualités. You’ve Never Listened To The Wind joue avec les mots de Pessoa en tant que symboles, pas comme phonèmes. Ici, le piano de Jozef Dumoulin (on trouvait l’orchestre en proximité avec lui, le voici officiellement dedans !) célèbre un mysticisme des plantes qui dodelinent dans une brise légère (Second mouvement) à peine soulignée par l’électronique non-immersive d’Alexandre Herer et la voix d’Ellen Giacone, qui incarne la force poétique du temps qui défile.

La soprano, qui mène une talentueuse carrière dans la musique ancienne (Accentus, Athénaïs, la Fenice, excusez du peu), a également une formation de contrebassiste jazz ; c’est dans cette double culture qu’elle pioche le recul nécessaire pour rendre ce disque aussi insaisissable que peut l’être la petite brise. À certains instants, notamment dans le troisième mouvement particulièrement intense, son interprétation est proche des œuvres baroques, notamment Purcell. Mais là encore, ce n’est pas une forme d’allégeance à un genre ou à une grille de référence. C’est au contraire une composition avec le vent, fait de lenteur et de bourrasque. AGE utilise tout ce qui résiste aux rafales pour changer de direction. Quant aux matières que le vent charrie, elles servent à polliniser une musique qui s’affranchit même des formations auxquelles on pouvait l’assimiler, tel Octurn ou l’Acustica de Carlo Costa. On songe à une dramaturgie nouvelle, proprement séduisante, qui fait de l’AGE un des piliers des Grands Formats hexagonaux.

par Franpi Barriaux // Publié le 20 mai 2018
P.-S. :

Julien Pontvianne (cl, ts, comp), Baptiste Bouquin (dir), Ellen Giacone (voc), Jean-Brice Godet ’cl, bcl), Antonin-Tri Hoang (cl, bcl, as), Jozef Dumoulin (p),Tony Paeleman (synth, Alexandre Herer (elec, fx), Richard Comte (g), Youen Cadiou, Simon Tailleu (b), Amélie Grould, Stéphane Garin, Julien Loutelier (perc)

[1Baptiste Bouquin, plus accoutumé au saxophone dans le Surnatural Orchestra.