Portrait

Africajazz

Quelques disques entre les continents


La musique africaine, aussi riche soit elle, n’échappe pas aux mélanges. Certaines productions rassemblent intelligemment des musiciens et des styles différents, d’autres se compromettent dans d’étranges mixtures mondialistes sans intérêt.

Pourtant, les liens entre le jazz et l’Afrique sont étroits et ceux qui unissent le continent d’origine aux fils de déportés antillais et sud-américains (cubains en tête) ne le sont pas moins.
Ces pourquoi l’on trouve une énorme production de musique afro-cubaine en Afrique. Quels sont ces échanges ? Que produisent-ils ? Les procédés sont multiples : des musiciens européens jouent africain ou intègrent les structures africaines (Toups Bebey et Paris Africans), des musiciens africains s’entourent de musiciens occidentaux (Soriba Kouyaté), des musiciens africains jouent d’autres styles (la salsa pour Laba Sosseh). Parfois de surprenantes synthèses de tous ces procédés voient le jour (Mangala). Je vous propose un petit tour d’horizon parmi quelques disques « africains » parus récemment.

Toups Bebey & Paris Africans : Pygmy Attitudes. Buda Musique. 2001
L’un des enfants du récemment disparu Francis Bebey, signe ici son deuxième album avec ce groupe. Saxophoniste, flûtiste, percussionniste il signe une grande partie des compositions. D’origine camerounaise, il aime à mélanger la musique africaine au jazz et à la musette. Le concept est original et fonctionne bien. Les références à Monk, Jimi Hendrix, Duke Ellington et la présence sur un titre d‘Archie Shepp ancre le projet dans le jazz. Celle de Séga Seck, Claude Py, l’instrumentation et les compositions penchent pour l’Afrique. Le groupe a gardé son identité festive et énergique et une certaine maturité leur permet d’échapper à la routine mais pas à certains clichés africanisants.

Mangala : Reexépidition, Africa prodution, 2000
Totalement ancrée dans la tradition, Mangala s’est offert un all-stars pour l’accompagner : Mokhtar Samba, Paco Sery, Etienne M’bappe, Cheikh Tidiane Seck, Mario Canonge, Claude Py, Idrissa Diop, Mama Keïta, Dieli Moussa Kondé et j’en passe. Le résultat est à la hauteur. La musique oscille toujours entre orgie afro-rock, célébration africaine traditionnelle, brass-band funk déjanté et mauvais goût quand même… La voix est omniprésente et soutient l’ensemble. C’est le fil conducteur. Mangala réussit cependant le pari de laisser les arrangements et la musique aux mains de nombreux musiciens différents sans y perdre son âme. Les puristes apprécieront.

Soriba Kouyaté : Kanakassi. ACT records.
Je sais que ce n’est pas le dernier album. C’est voulu. Autant parler de l’original et non de la pâle copie. Avec ce projet, le joueur de kora (accompagnateur entre autres de Youssou N’dour, Salif Keita, Peter Gabriel) mêle son style et son jeu tout en finesse à ceux des musiciens qui l’entourent : Linley Marthe (bassiste bondissant, notamment sur Ankana Diamana), Joël Allouche (batterie), Paolo Fresu (trompette), François Quillet (piano), Jean-Charles Agou (sax), Gérard Pansanel (guitare) et Philippe Gaillot. Ce dernier, au synthé et à la guitare, est le grand ordonnateur de ce disque. Il y signe pratiquement tous les arrangements des thèmes traditionnels du Sénégal. Très mélodique, les relectures sonnent modernes et sortent souvent du cadre africain pour entrer dans celui du jazz-rock. Quelques reprises étonnantes, comme Autumn Leaves ou Aother Day in Paradise, complètent cette évocation poétique d’une Afrique électrisée.

Laba Sosseh : El maestro. Africa Production, 2001
Gambien, résident Ivoirien, Sosseh est une star de la musique afro-cubaine, tant en Afrique qu’en Amérique du Sud. Ancien membre du Star Band de Dakar, fondateur du Super International Band d’Abidjan, il connaît le succès en enregistrant aux USA en compagnie de salseros reconnus, comme Alfredo de la Fé ou Papaito. Sa renommée grandit et celui qu’on surnomme « La voz africana » devient l’un des plus fins représentants de ce grand mouvement de salsa africaine. Sa voix, caractéristique, rauque et chaude, à la tessiture médium, emmène un orchestre composé de musiciens africains, qui ressemble à s’y méprendre à un groupe de salseros cubains. Avec une articulation très précise, des thèmes proches du son qui a fait les beaux jours du Buena Vista Social Club, les chansons de Sosseh (qu’il compose) ont plus à voir du côté de La Havane que d’Abidjan.

Cet aperçu n’est évidemment pas exhaustif mais plutôt d’actualité. La production africaine est un continent sans limite. Les cousinages sont aussi innombrables. Mais il est souvent question pour le jazz de retrouver ses racines africaines. Cela paraît de moins en moins évident vu la complexité des racines. Cependant, les deux mondes musicaux s’entendent à merveille. Et dans cette chronique, je n’ai fait référence qu’à la partie francophone de l’Afrique Noire. N’y figurent donc ni les mélanges entre musique arabe et jazz, ni le jazz d’Afrique du Sud, ni le reste. C’est une autre histoire.