Chronique

Aka Moon

Unison

Fabrizio Cassol (as), Michel Hatzigeorgiou (b), Stéphane Galland (dms)

Label / Distribution : Cypres

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage… Le vers de Du Bellay illustre mieux que jamais les vingt ans du trio belge Aka Moon. Un anniversaire célébré avec gourmandise par Unison, un dix-septième album [1] en forme de retour aux sources qui martèle avec conviction une synergie et une complicité jamais démenties. Des rythmes urbains partagés avec le Big-Band de DJ Grazzhoppa à la rencontre avec le musicien mandingue Baba Cissoko sur Culture Griot, le passé récent du groupe s’est construit dans le dialogue ouvert et l’échange. Ces alliances enrichissent toujours la grammaire polyrythmique d’Aka Moon, qui la complète et l’assimile comme autant de champs des possibles. Mais qu’est-ce que rentrer chez soi quand on habite le monde ? C’est toute la clé de cet album-anniversaire. Dans le morceau-titre, le lyrisme apaisé de l’alto de Fabrizio Cassol comme les rythmes complexes de la batterie de Stéphane Galland formulent à cette question une vigoureuse réponse. Aka Moon vit dans les entrailles de la pulsation.

De rencontres en rencontres, le trio n’avait pas enregistré seul en studio depuis… Aka Moon, son premier disque - qui hélas n’est plus distribué - en 1992 ! On perçoit dès « Omax1 (Tokyo) » une volonté d’utile recentrage sur soi qui ne viserait pas à exclure mais au contraire à mesurer le chemin parcouru. Il ne s’agit pas de dresser un bilan, ni de jeter un regard dans le rétroviseur. Pour cette formation constamment sur la brèche, la musique reste en constante gestation et Unison en est un point d’étape. Sur la lourde basse électrique de Michel Hatzigeorgiou, le trio déroule une musique très complexe, qui n’a pourtant jamais paru aussi évidente. Dans le bien nommé « Michel is Back », l’agilité du bassiste jette même les bases de nouveaux territoires à visiter, de nouvelles cultures à honorer… De nouveaux tours du monde à faire.

D’accélérations en rythmiques instables, l’alliance entre Galland et Hatzigeorgiou paraît plus galvanisée que jamais. Sur ces fondations sans limites techniques, la sobriété de Cassol n’en est que plus efficace. Auteur de tous les morceaux, il laisse pourtant beaucoup de place à ses comparses tout en indiquant les directions à suivre ou les temps à infléchir. Ainsi, sur le magnifique « For Drummers Only », qui permet à Galland de démontrer une fois de plus plus son talent, les phrases courtes et tranchantes de l’altiste sont la preuve que le trio veille toujours à ne pas verser dans la vaine virtuosité. Une ligne directrice qui forge la légende d’Aka Moon depuis vingt ans.

Durant cette période, le groupe n’a eu de cesse d’évoluer dans une musique qu’il a lui-même contribué à cartographier. Fort de cette influence majeure, il aurait pu se reposer sur les lauriers que d’aucuns auraient toutes les raisons de leur tresser. Mais, sûrs de leur route, les Belges ont préféré continuer à écouter la pulsation du monde. Elle est fougueuse dans la vitalité d’« Istanbul », chaleureuse dans l’effervescence d’« East Berlin ». Elle continue surtout d’irriguer un propos qui, à force de curiosité, a su imposer une identité universelle dépassant largement le strict cadre de la musique. Dans vingt ans, cette identité aura encore mué, franchi d’autres limites tout en gardant sa fluidité. Souhaitons qu’alors, ces trois musiciens, « pleins d’usage et raison », vibrent encore à l’unisson…

par Franpi Barriaux // Publié le 9 juillet 2012

[1On peut même en compter 19 si l’on ajoute VSPRS, dédié à Monteverdi, et Pitié !, dédié à Bach et signé Fabrizio Cassol mais où Aka Moon apparaît en tant que tel.