Chronique

Akira Sakata / Giovanni Di Domenico

Iruman

Akira Sakata (as, cl, objets), Giovanni Di Domenico (p)

Label / Distribution : Mbarimusica

Personnalité centrale de l’histoire du free jazz au Japon, Akira Sakata mène, parallèlement à ses activités universitaires dans le domaine de la biologie, une remarquable carrière iconoclaste qui l’a mené aux côtés de Bill Laswell ou DJ Krush… mais aussi de personnalités plus radicales, comme le guitariste Jim O’Rourke ou le duo rythmicien Chikamorachi (Davin Gray à la basse et Chris Corsano à la batterie). Avec Iruman, enregistré avec le pianiste italien Giovanni Di Domenico, il se lance dans un duo farouche, mais étonnamment serein. A l’image de l’estampe du XVIIIe siècle illustrant la pochette, qui représente un tigre sûr de sa puissance.

À son habituel alto et à sa clarinette, il ajoute des cloches et divers objets percussifs. Son puissant chant de gorge illumine « Yamadera ni kikoyuru koe », que le piano transporte en une nuée incisive au cœur d’un temple shinto. Car le Japon est omniprésent dans cette rencontre entre Sakata et un pianiste voyageur déjà croisé aux côtés d’Alexandra Grimal [1]. Mais plus qu’un voyage sensoriel à travers l’archipel comme le récent On The Path Of Death And Life de Fumio Yasuda, Iruman est une succession d’instants, de haïku fulgurants, pénétrants, où un piano impressionniste se frotte à l’abrupte sobriété de Sakata. Ces pièces permettent aux solistes d’explorer toutes sortes de paysages, souvent balayés par des bourrasques soudaines. Ainsi, « Kousa no odori » prend naissance dans l’intensité torride de l’alto, que Di Domenico habille d’ornements classiques.

C’est parfois un propos très chambriste auquel nous convie le duo ; la clarinette qui s’épanche dans « Sukiyazukuri no tatazumai » effleure les cordes d’un piano submergé par les profondeurs de la main gauche. Mais même en ces moments propices à la méditation, le dialogue est un feu qui couve. Il sait se faire dévorant dans les deux parties de « Moe », qui en japonais signifie « bourgeon ». La biologie refait surface en cette inexorable montée en sève… Sur « Moe II », le jeu de Sakata devient heurté, généreux, presque vertigineux tant la virulence de l’échange est fertile avec le martèlement d’un piano qui conserve une certaine élégance dans ce soudain emportement. Une rencontre des plus fructueuses entre des univers opposés mais loin d’être antagonistes.

par Franpi Barriaux // Publié le 23 juin 2014

[1Cf. le duo « Ghibli » sur le label sans bruit, et en quartet sur Seminare vento (Free Lance, 2010) ; un nouveau volet de leurs aventures, Chergui paraîtra sur le label Ayler Records à l’automne 2014.