Scènes

Alain Brunet Sextet à l’Opéra

Compte-rendu de concert le 20 mars 2004 à l’Opera House du Caire.


Soirée chargée dans l’immense enceinte culturelle de l’Opéra House du Caire ce samedi 20 mars ! Les Cairotes en tenue de soirée descendent de leurs grosses limousines noires et les adolescents dégringolent des bus. Les uns se rendent dans The Main Hall pour écouter le Cairo Symphony Orchestra, tandis que les autres rejoignent l’esplanade pour écouter SYNCOP et KAJEEM, deux groupes de reggae, rap, hip-hop, raï, etc. Et comme d’habitude, coincé au milieu, l’amateur de jazz n’a ni les honneurs de la grande salle, ni la majesté de la voûte céleste, mais se rend joyeux et sans soucis dans The Small Hall pour y écouter son chabada favori !

Vêtu d’un gilet de strass, barbu et coiffé d’un large béret noir, le batteur Prince H. Lawsha - fort sympathique élève de Kenneth Nash et de Max Roach - entre en scène et se lance dans un solo de batterie écrit spécialement pour la tournée en Egypte. Il interprète aux mailloches un morceau à la fois mélodieux et délicat, « passerelle rythmique entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Amérique Latine ».

Après ce hors-d’œuvre savoureux, la première partie du concert alterne deux standards, « Autumn Leaves » et « Night in Tunisia », deux chansons, « Que reste-t-il de nos amours ? » et « La Javanaise », pour finir par une composition du sextet, « Flying High ».

Le sextet interprète les standards et « Flying High » dans la tradition hard-bop avec les exposés à l’unisson à l’image de « Night in Tunisia » et « Flying High », les jeux de passe-passe entre les musiciens comme dans « Autumn Leaves » et « Flying High », beaucoup de « groove », en particulier Jean-Jacques Taïb à l’alto, et un soutien puissant de la section rythmique. D’ailleurs tout au long du concert, Prince H. Lawsha et Jérôme Regard feront preuve de beaucoup de subtilité avec un jeu varié, enthousiaste, et un son de contrebasse ample et profond.

Alain Brunet et Jean-Jacques Taïb - © Alain Brunet

Sonorité que l’on retrouve également chez Alain Brunet à la trompette, qui joue par ailleurs des chorus très élégants, voire parfois un peu trop homogènes. Quant au pianiste, Pierre Reboulleau, il montre davantage de verve dans ses solos, « Night in Tunisia » ou « Flying Home », que dans son jeu d’accompagnement, très discret. Si Alain Brunet et Jean-Jacques Taïb sont légèrement moins convaincants avec leur deuxième instrument - bugle pour l’un et soprano pour l’autre -, leurs duos « a capella » sont particulièrement bien réussis, comme dans la reprise finale d’« Autumn Leaves » en contrepoint ou la conclusion « a capella » de « La javanaise », truffée de citations.

Alain Brunet est un habitué des chansons puisqu’il a travaillé avec Olivier Hutman sur celles de Gainsbourg et sorti un disque, Swingin Trénet, sur lequel il interprète des chansons de Charles Trénet accompagné par son quintet et la Camerata de France. « Que reste-t-il de nos amours ? » est prise sur un rythme de bossa nova qui lui va bien, mais ne la sort pas vraiment de la rengaine. Quant à « La javanaise », elle est jouée tout en retenue et permet à Luc Fenoli de s’illustrer dans un solo de guitare très cohérent - ce que sont d’ailleurs l’ensemble des chorus qu’il a pris pendant la soirée : il y démontre un sens mélodique aigu que sert une vélocité bien maîtrisée.

La deuxième partie du concert commence bien, avec «  »Music Matador« , morceau composé par Prince Lasha father (père et fils n’orthographient pas leur nom de la même manière…), flûtiste et altiste trop méconnu qui a pourtant joué entre autres avec Ornette Coleman, Sonny Simmons et Eric Dolphy. Mais le sextet évolue loin du « free » puisqu’il prend le morceau sur un rythme de calypso, agréable, sans être inouï. Sur »Robinus", thème que l’on doit à Alain Brunet, Jean-Jacques Taïb part au soprano dans un solo assez libre, mais sans réellement convaincre.

Pour le dessert, Prince H. Lawsha se lance dans trois chansons et laisse les tambours à Yehia Khalil, batteur et animateur infatigable de la scène du jazz égyptienne dont nous reparlerons plus en détail un de ces jours. Certes Prince H. Lawsha a une belle voix de crooner, mais son phrasé et son scat manquent de mordant. Le solo sifflé d’Alain Brunet dans « Swinging the Blues », plus amusant qu’intéressant, ne sauve pas le morceau. Seul Luc Fenoli et ses chorus mettent un peu de piment dans cette fin de concert décevante au regard du reste.

Des instrumentistes de haut vol, un répertoire agréable et un jeu enjoué pour un concert de jazz comme on aimerait pouvoir en écouter plus souvent au Caire, mais auquel il aura manqué un zeste de folie - le didgeridoo ? - pour en faire un moment inoubliable.

par Bob Hatteau // Publié le 12 avril 2004
P.-S. :

A écouter


Alain Brunet et le didgeridoo orchestra Alain Brunet (tp), John Burk (didgeridoo), Jean-Jacques Taïb (saxes, bcl), Julius Le Rouge (voc), Manhu Roche (d)