Chronique

Alain Gerber

Petit Dictionnaire incomplet des Incompris

Label / Distribution : Alter Ego Editions

Auréolé de son récent « Prix de l’Académie du Jazz », cet ouvrage fait partie d’une trilogie parue aux éditions Alter Ego fin 2012, les autres écrivains ayant eu le bonheur d’être édités par le courageux Joël Mettay étant Jean-Pierre Moussaron, qui a eu le temps de voir paraître son livre (Les blessures du désir, Pulsions et puissances en jazz) avant de nous quitter, et Michel Arcens (John Coltrane, la musique sans raison, dont nous avons rendu compte dans ces colonnes).

Qui, parmi les amateurs de jazz confirmés, n’a pas eu une fois dans sa vie l’idée d’attirer l’attention sur des musiciens chers à son âme et à ses oreilles mais dédaignés par la presse, même spécialisée ? Alain Gerber l’a fait, en décalant intelligemment le propos : la liste qu’il propose n’est pas celle des « méconnus », mais des « incompris », ce qui n’est pas la même chose puisqu’on peut ranger dans cette dernière catégorie des musiciens dont le nom est connu, mais pour de mauvaises raisons – du moins du point de vue de l’auteur.

Subjectivité assumée au-delà de tout soupçon, circulation ludique entre un nombre assez considérable de batteurs (Gerber ne méconnaît pas la pratique personnelle de cet instrument) et art d’aller dénicher dans les coins des instrumentistes de talent, sont les qualités de cet ouvrage, qui offre à l’amateur éclairé la possibilité de trouver quand même dans l’ombre de quoi renouveler ses lumières ! L’écriture est élégante, raffinée, sensible, elle fait saisir ce qui relie l’auteur aux musiciens choisis, et donne envie d’aller écouter tout ça d’une nouvelle oreille, ce qui est le but que devrait rechercher tout auteur de monographies consacrées à des musiciens, courtes ou brèves.

Je n’ai personnellement « découvert » dans la liste d’Alain Gerber qu’un seul nom, celui du saxophoniste ténor Bill Trujillo, qui ne m’a pas, par ailleurs, vraiment intéressé à l’écoute, alors qu’un coup de projecteur sur Eddie Shu eût été bienvenu. Mais j’ai lu avec délectation les pages consacrées à Don Fagerquist, Tony Fruscella, Bobby Hackett, Jabbo Smith (trompettistes et cornettistes), à Frank Rosolino (tromboniste et chanteur), à Lucky Thompson, Joe Maini, Anthony Ortega, Illinois Jacquet, Charlie Ventura (saxophonistes), et encore à Ellis Larkins (piano), Joe Diorio (guitare) ou Lorez Alexandria et Eddie Jefferson (chant).

Et je garde pour ma réserve personnelle quelques noms, tout en sachant qu’il est peu probable que cela intéresse jamais quiconque. Après tout, une certaine dose d’incompréhension est bon signe. Et il faut savoir préserver ses secrets.