Chronique

Alexandra Grimal « Dragons »

Heliopolis

Alexandra Grimal (ts), Nelson Veras (g), Jozef Dumoulin (p), Dré Pallemaerts (dm)

Label / Distribution : Cordes et Ames

Il souffle incontestablement un air tristanien dans cette session. Une sorte de calme dans l’échange, d’apaisement dans les dialogues, qui sont la marque de ceux qui ont le temps de faire advenir la musique sans se préoccuper de la précéder. Et puis une manière d’enrouler le son du ténor sur lui-même, d’avancer sur un chemin qu’on sent à la fois balisé et totalement ouvert, qui sont également la marque de l’invention régulée des souffleurs comme Warne Marsh ou Gary Foster.

Cela dit, Alexandra Grimal, Dré Pallemaerts, Nelson Veras et Jozef Dumoulin savent aussi prendre d’importantes libertés par rapport aux « modèles », qui fonctionnent davantage comme point de départ que comme fixation. La liberté des tempos (par exemple), l’audace des compositions qui ne reposent pas sur des standards (à part le beau « Smile » dû à la plume de Charlie Chaplin), indiquent aussi qu’on n’est pas là pour rendre je ne sais quel « tribut » au passé. Encore au-delà, rien qu’à suivre le titre du disque, affiché sur fond noir, on pressent que toute cette lumière cache (ou révèle) des zones d’ombre et de noirceur tout à fait assumées. Pour filer la métaphore tristanienne, on dirait que le présent enregistrement est, pour Alexandra Grimal, une sorte de « Descent into the Maelstrom ». Ce titre, emprunté à une nouvelle d’Edgar Poe, est celui que le pianiste a donné à l’un de ses disques les plus étonnants, constitué de morceaux très divers, datant d’années différentes, et reliés par une sorte d’anticipation de la musique à venir.

Nous n’en sommes plus là, mais il n’empêche : la séduction de cet enregistrement [1] en constant flottement, en jeu de lignes brisées et entrecroisées, tient beaucoup à ce qu’on y pressent de combat contre les démons du cri, voire de la rage. Le calme et la paix ne sont pas le fruit de l’évidence, mais de la volonté. « Smile » en est encore une fois la preuve, qui survient à la fin des Temps modernes quand il faut feindre d’oublier les duretés de ces temps par un regard tendre, un sourire, un bouquet, un chemin à parcourir. Mais personne ne s’y trompe.