Chronique

Alexis Avakian

Miasin

Alexis Avakian (ts, fl), Fabrice Moreau (p), Mauro Gargano (b), Ludovic Allainmat (dm), Artyom Minassian (doudouk, chevi, zurna), Myqayel Voskanyan (voc, tar)

Label / Distribution : Absilone

Alexis Avakian et son groupe nous saisissent pour un voyage enjazzé entre Arménie et métropoles occidentales. Le saxophoniste, natif de Marseille, développe ici au ténor un son plus archaïque que sur son précédent opus, éludant les coltranismes auxquels il nous avait habitués pour construire un langage empreint d’une joyeuse mélancolie (le titre « Wayne The Saint » en est la parfaite illustration). Et quand il s’empare de la flûte traversière, il convainc son groupe et l’auditeur de le suivre dans quelque voyage entre Erevan et New-York (« Ostuni-Ostruni », une composition du contrebassiste Mauro Gargano). Ou même, lorsque l’excellent joueur de doudouk Artyom Minassian s’empare d’un chevi [1] pour un thème qui fleure bon l’urgence occidentale comme ce « Circus », le croisement des cultures se fait dans un chaos délicieux. Quant aux incursions au tar (luth arménien), de Myqayel Voskanyan, redoutable chanteur par ailleurs, elles débordent de blues - les gammes pentatoniques se retrouvant aussi aux abords du Mont Ararat.

Mention spéciale à la « rythmique », faisant preuve d’un grand art des silences. Ludovic Allainmat, au piano, multiplie les intensités dans son accompagnement et ne craint pas le vide lorsqu’il se voit gratifier de quelque solo gorgé de swing. A la batterie, Fabrice Moreau s’exprime avec force nuances, tant sur les thèmes que sur les chorus, qu’il bonifie d’excellente manière. Quant à Mauro Gargano, à la contrebasse, il fait feuler sa « grand-mère » de plaisir, la caressant avec une rugueuse douceur ; il sait notamment faire résonner dans une extase savoureuse, les notes présumées les plus simples (mais peut-être les plus exigeantes dans leur plénitude), comme les blanches et les rondes.

Et quand vient le morceau qui donne son titre à l’album (« Miasin » signifiant « ensemble » en arménien), le collectif s’imprègne des individualités sans que ces dernières se dissolvent dans le tout. L’unisson doudouk/ténor sur le thème fourbit des vibrations exquises, les échos de contrebasse au chorus de doudouk sont somptueux, cependant que le piano égrène quelques notes bleues, et que le batteur envoie des roulements de caisse claire digne des grands maîtres du swing… un solo de saxophone amoureux achève de construire ce monument d’émotion avant la reprise d’un thème universel. On touche au ciel.

par Laurent Dussutour // Publié le 21 avril 2019
P.-S. :

[1Instruments arméniens : le doudouk est une flûte à anche double, au son nasillard et velouté ; le chevi est une flûte piccolo au timbre léger et aigu.