Chronique

Almeida / Amado / Franco

The Attic

Rodrigo Amado (ts), Gonçalo Almeida (b), Marco Franco (dms)

Label / Distribution : NoBusiness Records

Nous avions quitté Rodrigo Amado il y a quelques mois à peine sur une déclaration d’indépendance. Desire and Freedom, criait-il avec son fidèle Motion Trio où le violoncelle de Miguel Mira fait office de basse. On sait le saxophoniste lusitanien attaché autant à une certaine tradition du free jazz qu’à l’improvisation au cœur d’un triangle mouvant. Mais, alors qu’avec son habituel trio le ténor est naturellement porté vers l’avant, virulent éclaireur qui déblaie le terrain, la configuration des trois improvisateurs qui proposent The Attic sur le label lituanien NoBusiness est parfaitement égalitaire. Bien sûr, sur l’écorché « Hole », le grondement rageur d’Amado fait tout trembler sur son passage. Mais la tension palpable, étouffante, quasi contondante qui règne au sein de la base rythmique ne manque pas de remettre tout à plat, entre les rafales de caisse claire de Marco Franco et les gifles furtives sur les cordes étranglées de la contrebasse de Gonçalo Almeida.

Dans le grenier lisboète de SMUP Parede, l’un des lieux majeurs de nos musiques dans la capitale portugaise, le jeune contrebassiste est celui qui impressionne le plus. Installé depuis de nombreuses années aux Pays-Bas, on l’a surtout vu avec des artistes du Nord de l’Europe, même s’il côtoie sa compatriote Susana Santos Silva dans Lama. Sa discographie avec ses compagnons de cordes, que ce soit son alter-ego Wilbert De Joode (Live at Atelier Tarwewijk) ou le violoncelliste Fred Lonberg-Holm (Space Invaders), laissait entrevoir un grand soliste. L’introduction presque solennelle de « Shadow », où l’archet sonde des pensées sombres et enfouies, incite à la vigilance. Ce musicien compte déjà beaucoup dans la scène free européenne, mais sa générosité, éprouvée par le bouillonnement de « Board », est dépourvue de limite. Dans ce long morceau, il contient les ardeurs obsessionnelles de deux francs batailleurs, et ce n’est pas mince affaire.

Il faut avouer qu’aux côtés d’Amado, Franco ne s’en laisse pas compter. Le jeu est dru et pourtant sans emphase. Même sur « Nail » qui enfonce le clou au plus profond de la chair, libérant les cris et les accès de colère, la batterie n’est jamais l’artificière du chaos. Marco Franco, qui a énormément travaillé avec Luis Vicente, n’est ni contraint ni corseté : il est au contraire libre, animé par une part de responsabilité collective que chacun respecte dans l’orchestre. The Attic est à la fois une déclaration d’indépendance et d’appartenance. La première s’entend immédiatement. Quant à la seconde, elle s’inscrit brillamment à la suite de figures comme Joe McPhee, John Edwards ou Chris Corsano. This is Our Language affirmait il y a peu Amado. Il le confirme ici, avec un sens aigu de la formule.