Il y a toujours quelque chose de profondément émouvant à l’écoute d’un solo. Une certaine fragilité, une mise à nu, en même temps qu’une détermination, la volonté de tout embrasser, d’être seul maître à bord. Toujours j’accueille les disques en solitaire, comme les concerts donnés en une même élémentaire configuration, avec une vraie curiosité. C’est encore le cas pour ce Draumsyn d’Anne Hytta, qui semble puiser autant dans les mélodies médiévales que dans la musique contemporaine de John Cage ou Morton Feldman.
La violoniste norvégienne livre ici une série de compositions qu’elle a imaginées pour des instruments anciens parents du violon : le hardanger et la viole d’amour. Outre leurs cordes mélodiques (4 ou 5 pour le Hardanger, 7 pour la viole), ceux-ci possèdent des cordes vibrantes. Et les chants solitaires d’Anne Hytta, tels des rais de soleil perçant la brume du matin, puisent dans ces bourdonnantes la force de rayonner largement. Car elle ne cherche pas, avec ce disque de l’intime, à peindre les joies et les tourments de l’être humain ; c’est, en sa paradoxale solitude, le monde entier qu’elle envisage. « La musique sur cet enregistrement me vint tandis que j’imaginais des paysages dépeuplés. Des paysages vastes et silencieux – sans même une personne en vue. »
Comment donner à entendre le silence et l’absence ? Seule, répond la musicienne, en plongeant les bras dans l’eau glacée d’un torrent de montagne pour le remonter jusqu’à sa source. Ses mélodies sont pures ; débarrassées de toute afféterie, elles semblent découvrir, au fur et à mesure qu’elles jaillissent sous ses doigts, leur propre chemin, leur propre cours. Anne Hytta libère ses airs intemporels comme on rejetterait à l’eau les poissons pêchés, comme on libérerait des oiseaux longtemps gardés en cage. Le silence et l’absence sont des biens rares à notre époque ; raison pour laquelle ce disque doit être accueilli avec bienveillance, écouté avec attention, conservé avec précaution.