Chronique

Anthony Braxton

Eight Improvisations (Trio) 2014

Anthony Braxton (as, ss, bs), Taylor Ho Bynum (cornet, flh, btp), Bob Bresnan (p)

Label / Distribution : Tubapede

De loin en loin, dans une autre fonction que ses œuvres solistes qui lui permettent de jeter les bases de ses nouvelles approches musicales, Anthony Braxton aime à se confronter à d’autres musiciens sans aller dans le champ de ses systèmes, en revenant à une immédiateté radicale. C’est ce que nous présente le justement nommé Eight Improvisations (Trio) 2014 sur le label Tubapede de Dan Peck, musicien proche du maître. Enregistré au Firehouse 12, ce double album présente une discussion libre et constructive avec deux compagnons de route : l’un est un intime, puisque Taylor Ho Bynum suit Braxton depuis plus de vingt ans maintenant après avoir été son élève à la Wesleyan University. L’autre, Bob Bresnan, est un pianiste renommé de la musique de marge new-yorkaise que l’on a pu entendre dans les modes opératiques Trillium de Braxton ou dans l’Improvisers Orchestra de Karl Berger. C’est la première fois que nous pouvons apprécier ce toucher précieux et cette main droite agile, notamment sur « Six » où il ferraille avec le cornet de Ho Bynum.

Cette rencontre en rappelle une autre, assez ancienne, qui marquait une date importante dans la carrière d’au moins deux tiers de ces musiciens : le Duets (Wesleyan) 2002 que le multianchiste et le cornettiste avaient expérimenté ensemble. Ici, à l’instar de « Two » qui ouvre le double album, la musique est plus brute et ne s’embarrasse pas de rounds d’observation. Il n’y a pas de référence directe à des standards ou des compositions numérotées. Le saxophone est véloce, inventif, et tente de contenir un Ho Bynum qui joue avec toutes les ressources du souffle, même les plus souterraines, et se faufile pour offrir de nouvelles ouvertures à la musique du trio. Dans ce contexte, Bresnan a un véritable rôle d’accompagnateur, sans qu’il soit mineur. Son jeu très atmosphérique est capable de se densifier d’un coup pour renverser la table d’une main gauche autoritaire (« Four », le morceau le plus heurté où Braxton est virevoltant), mais globalement ce sont les deux soufflants qui mènent les débats. Avec une complicité qui ne se dément pas, et constitue la ligne de force de cet album.

C’est ce qui concrètement interroge sur l’influence mutuelle qui nourrit cette musique au long cours. Lorsque des musiciens sont aussi pétris des langages de Braxton (et Bresnan en tant que participant à Trillium n’est pas le dernier), il n’est pas possible que ceux-ci ne s’invitent pas. Ce n’est pas seulement lié aux dessins de la pochette qui évoquent les partitions graphiques du saxophoniste, mais un peu partout, parsemées dans la conversation, ce sont des bribes ou de simples articulations qui reviennent. Ainsi « One », dans ce disque où les suites numériques sont éclatées, reprend, entre les soufflants, des structures proches du Diamond Curtain Wall, où Bresnan jouerait le rôle, par son approche diaphane, du générateur de son électronique habituellement utilisé. Ce disque un peu divergent dans les sorties actuelles de Braxton est là pour rappeler qu’outre le fait qu’il est un grand improvisateur, il ne se fige jamais dans une obsession immuable et cartographiée. Un disque rafraîchissant et de haute volée.

par Franpi Barriaux // Publié le 3 mars 2019
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