Chronique

Argentieri quatro

Soleil brun

Damien Argentieri (p), Sébastien Jarrousse (ts, ss), Mauro Gargano (b), Antoine Banville (dms)

Label / Distribution : Altrisuoni

Existe-t-il aujourd’hui un « jazz européen » ? La question fait débat parmi les amateurs, les professionnels et les musiciens. En attendant la scène européenne est très active et les projets et collaborations se multiplient, souvent avec bonheur. Le nouveau disque de Damien Argentieri interpellera à coup sûr les amateurs de cette scène qui se plaisent à naviguer sur ses multiples bras. Ils y retrouveront ici et là des noms qui, à force d’albums travaillés et de concerts réjouissants, s’ancrent de plus en plus dans le paysage actuel de ce jazz qui n’en finit pas de se réinventer, d’évoluer en s’appuyant sur ses acquis sans se reposer sur ses lauriers.

Damien Argentieri, pour commencer, a déjà offert à quelques disques son swing et son phrasé précis, notamment aux Mondes parallèles de Sylvain Beuf ou aux disques du saxophoniste Tuesday Warren, qui doivent autant leur énergie à son jeu et à sa sonorité qu’aux accompagnements subtils du pianiste ; Argentieri sait en effet allier les développements harmoniques plaqués d’une main gauche impeccable et les échappées belles d’une main droite mélodique et volubile. Ici au piano (il est également organiste), il est aussi généreux dans l’accompagnement que dans ses nombreux chorus, avec un souci permanent de musicalité. Il partage avec Sébastien Jarrousse une tendance à s’inscrire dans la tradition (grilles d’accords dévalées, phrasé délié chargé au bop, sens de la rondeur dans les ballades et du rebond sur les titres plus enlevés…) tout en restant attentif au renouvellement des schémas. Ce dernier prend visiblement plaisir à construire patiemment ses solos, comme sur « Judith », où il semble se proposer lui-même différents angles d’attaque avant d’en choisir un et de dérouler, au ténor, son phrasé puissant. Son soprano est plus aérien, mais tout aussi agréable (« Alban »).

C’est avec plaisir que l’on retrouve Mauro Gargano et Antoine Banville, qui propulsent ce quartet et participent largement à la densification progressive d’un jeu collectif serré et toujours chantant. Le contrebassiste déploie des lignes solides et baladeuses tout en incorporant dans son jeu une approche mélodique et sensible (« Kokcinelle », ou encore « Lamirémi », titre interprété en trio sur lequel il a la place de développer ses interventions phrasées). Gargano continue d’affirmer sa personnalité par un jeu désormais identifiable, telle cette façon de gratter les cordes avec le pouce en début de solo pour se ménager un espace d’expression (« Salomé »). Toujours attentif à sa fonction pulsatile, il est tout aussi efficace dans les parties de walking bass (« Soleil brun »). Cette approche rythmique vivante convient très bien à Banville, dont le drive efficace, entre swing et groove, met de l’huile sur le feu et pousse les trois autres à épaissir leur propos.

Soleil brun est un disque bien dosé, où les thèmes servent d’ossature à l’improvisation mélodique et cadrée et qui reste dans des zones intermédiaires, sans trop se rapprocher silence ni saturer la musique, c’est-à-dire là où « ça joue », et évite la dissonance ; dense et dynamique, il ravira les amateurs de jazz abordable joué avec honnêteté, le seul but étant de procurer du plaisir. C’est réussi.