Chronique

Arnault Cuisinier

Fervent

Arnault Cuisinier (b), Guillaume de Chassy (p), Fabrice Moreau (dms), Jean-Charles Richard (ss, bs, fl)

Label / Distribution : Laborie Jazz

Il est rare, finalement, qu’une pochette d’album résume et définisse avec acuité le contenu d’un disque, même quand celui-ci évoque la musique des images. Sur celle de Fervent, le contrebassiste Arnault Cuisinier apparaît cadré à mi-visage, regard franc et droit, laissant apparaître sur la majeure partie de l’image un flou d’arrière-plan fait de lumière et de verdure… Et cette illustration est à l’image d’une musique menée avec rigueur et vigueur par le contrebassiste, malgré une discrétion et un effacement qui, de l’archet au pizzicato, construisent une belle atmosphère.

Fervent est une suite de plans qui se découpe avec subtilité en douze plages. Douze saynètes interdépendantes où chacun des musiciens élabore sa part du propos commun, au gré des couleurs et des thèmes mûris dans l’univers du leader. Si ce dernier semble laisser la place à ses comparses tout en ne transigeant pas sur l’aspect collectif c’est que, de la nostalgie de « Patience » au « Jeu d’illusion » placé comme un symbole au centre de l’album, son alléchant quartet délivre un propos exigeant, teinté de vélléités chambristes et d’évocations coloristes. Si Cuisinier est lui-même fervent, c’est d’esthétisme cinématique et contemplatif. Lorsqu’il évoque Kurosawa dans l’excellent « Akira », il emmène le soprano de Jean-Charles Richard batailler avec lui comme un cliquetis de sabre. Une confrontation qui s’exprime également dans la nonchalante défiance flutée d’un morceau comme « Ardent ». A l’inverse, sur « Tao », il porte une lente méditation entre le métal et les peaux de Fabrice Moreau. Ce dernier, toujours aussi musical et sensuel, est pour lui un comparse rêvé. Tout l’album est marqué par cette belle entente, qui donne du relief à la musique.

Point d’orgue, l’ouverture de « Roublev », en hommage à Tarkovski se fait aussi flamboyante qu’abstraite sur les cymbales de Moreau, avant de laisser place à une tension collective contrastée et brillante. Plus que l’atmosphère impressionniste, c’est le placement des musiciens, eux-mêmes ordonnés en plans successifs, qui donne cette sensation lumineuse et torturée, profonde comme les icônes et le film. Dans les scènes en forme de miniatures, lavées par le ressac du piano de Guillaume de Chassy sur « Grand Fort-Philippe » et l’errance de « Balthazar », hommage à Bresson [1] ; comme lui, Cuisinier cherche le dépouillement qui va droit à l’émotion et au sentiment. Il place sa contrebasse comme un observateur neutre mais puissant, fouille aux tréfonds des compositions, se rend indispensable à l’équilibre et à la complicité charnelle d’un quartet dont l’unité perle à chaque note. Voilà ce qui éclaire cet album passionné et sensible, à tous les sens du terme…

par Franpi Barriaux // Publié le 28 juin 2010

[1« Au hasard Balthazar », symbole de l’esthétisme contemplatif.