Art « Turk » Burton and Congo Square

Voilà un disque qui détonne dans la profusion d’expérimentations AACM, sorti à l’occasion des 50 ans de la digne maison chicagoane. Son concepteur est en effet un maître des congas enraciné dans la tradition afro-cubaine mais néanmoins compagnon de route de certains des pensionnaires de « l’académie du free ». Ainsi retrouve-t-on sur la partie studio de ce disque Ari Brown, sax ténor virtuose, Talib-Din Ziyad, flûtiste vétéran de la scène de Chicago et membre régulier de l’Ensemble Vocal de l’AACM ainsi que de solides musiciens de la « Windy City », notamment Kirk Brown au piano et Harrison Bankhead à la basse, dont le sens de la pulsation est énorme (notamment sur une version de « Afro Blue » dont la ligne, empruntée à celle du bassiste de Dianne Reeves, est un ostinato hypnotique en parfaite harmonie avec la mélodie).
Quant à Art « Turk » Burton, son jeu polyrythmique et syncopé fait décoller les ensembles live et studio vers des sommets insoupçonnés de groove et de swing. D’aucuns diraient qu’il y a là des « coltranismes » de mauvais aloi, en particulier sur « Moment’s Notice » ou sur « A Love Supreme »… laissons aux bégueules le soin de médire et contentons-nous de respirer les parfums de thèmes qui sont autant d’hymnes afro-américains. Car ce disque est un manifeste, orchestré par un percussionniste qui est aussi historien et philosophe de l’expérience sensible des peuples noirs en Amérique du Nord, au point qu’il propose même un hommage à James Brown, dans une version endiablée de « Cold Sweat » rebaptisée « Mr Brown ». Ainsi l’esprit du « Godfather of Soul » et du souffleur suprême rejoignent ceux de Congo Square dans une danse éternelle.