Chronique

Autres voix de piano + Simon Goubert

Pourquoi tant de… ?

Patrick Defossez (p), Anne-Gabriel Debaecker (p, elec, fx), Simon Goubert (dms)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Invité par la formation Autres voix de piano, le batteur Simon Goubert occupe dans la construction méticuleuse de Pourquoi tant de… ?, le dernier disque du duo composé du pianiste belge Patrick Defossez et de la pianiste « virtuelle » et électroacousticienne Anne-Gabriel Debaecker, une position centrale, primordiale et tout à fait impressionnante.

Simon Goubert, de son sextet Background au Pentacle de la pianiste Sophia Domancich en passant par ses diverses formations en compagnie de cette dernière, est connu pour être un batteur musical et coloriste, capable de dessiner en quelques frappes métalliques les contours poétiques d’un univers personnel.
C’est sur ce terrain de prédilection qu’il intervient dans celui, très particulier, d’« Autres voix de piano », duo dont le propos oscille en permanence entre les abstractions du jazz et l’écriture contemporaine. Dans cette suite sur la Lumière, thème central de ce disque paru chez Leo Records, il est l’élément prométhéen visitant les plus profondes excavations de cette lente construction pianistique. Ainsi, dès les premières secondes de « Pourquoi tant de… ? », la batterie semble se débattre dans l’immense étendue créée par un grouillement électronique évocateur de ténèbres où la mélodie au piano décrit une inexorable chute.

On sent une esthétique très forte dans ce Pourquoi tant de… ?, fruit d’une construction musicale réfléchie qui prend en compte l’espace autant que les textures, l’entrelacement des timbres autant que celui de l’écriture et l’improvisation. Defossez et Debaecker ne sont pas étrangers au jazz, qu’ils préfèrent manifestement de facture assez classique. Le premier a dirigé des orchestres en Belgique, la seconde a multiplié les collaborations (Thomas de Pourquery, JF Jenny-Clarke, etc.). C’est de la maîtrise de maintes approches musicales que naissent des formes nouvelles dans la masse brute des instruments, virtuels ou non. Des ténèbres à la lumière, le temps semble se suspendre aux méandres de cette électronique propre à construire une atmosphère étrange. Par exemple, dans « Lumière, tu nais », le tramage très dense des pianistes et de Goubert se nimbe d’une… lueur irréelle dans un espace infini, peu à peu contraint par des chuchotis désarticulés et inquiétants.

Après avoir été l’élève de Maurice Martenot [1], Anne-Gabriel Debaecker est devenue architecte. Mais elle décidera ensuite, comme son comparse, d’enseigner la pratique de cet instrument. On retrouve dans la musique du duo, faite de bulles de jazz à peine esquissées et de construction électroniques rigoureuses, un souci évident du volume, de l’espace et du contenant. C’est ce qui vampirise parfois la spontanéité et l’éclatement des formes. La ciselure méticuleuse de la masse du silence, qui s’apparente à une recherche très intellectualisée de la spatialisation, rapproche le propos de la musique concrète (« …Tu lascives »), cependant bousculée par les polyrythmies de Goubert. Pourquoi tant de… ? est un projet singulier qui ravira les curieux et déstabilisera les autres ; c’est tout ce qu’on attend de ces structures hybrides.