Chronique

BD Blues, Skip James

Maël Rannou et Jean Bourguignon

Skip James, Johnny Temple, Mississippi Bracey, Joe McCoy, Robert Johnson (g, voc), Little Brother Montgomery, Roosevelt Skyes, Lee Green (p, voc)

Label / Distribution : BDMusic

C’est moins un musicien qu’une scène que Jean Buzelin présente dans cette nouvelle BD Blues. Skip James, la vedette, partage en effet l’affiche avec Johnny Temple, guitariste et chanteur, les pianistes Little Brother Montgomery, Roosevelt Skyes, Lee Green, d’autres bluesmen encore comme Mississippi Bracey, Joe McCoy et même Robert Johnson qui, décidément, trouve toujours un moyen de s’inviter quelque part (deux des compositions de Temple qu’il adaptera : « 32-20 Blues » et « Hellbound On My Trail » lui ayant tapé dans l’œil). Sans forcément se rencontrer, ni même connaître le même sort, tous ces musiciens ont zoné, à leurs débuts, autour de la capitale de l’État du Mississippi, Jackson, avant de partir, pour certains, pour le Nord : Chicago ou New York.

Sur un mode humoristique (comme souvent dans cette collection) Maël Rannou et Jean Bourguignon, respectivement dessinateur et scénariste, insistent sur le retour sur scène de Skip James dans les années 60, à la faveur du folk revival. On connaît l’histoire (c’est celle que renouera Dylan lors du fameux concert du 25 juillet 65 à Newport) : en Angleterre, sous la coupe d’un jazz de plus en plus aseptisé, un nombre de plus en plus important d’amateurs blancs se tournent vers ce qui leur paraît être la forme la plus primitive de musique noire (ce blues tant vénéré par John Mayall et Alexis Korner et que joueront les Stones, Cream et autres Led Zeppelin pour dynamiter leur rock’n’roll) ; mais, en Amérique, dans la trajectoire d’un mouvement plus ancien, c’est toute une valorisation à la fois culturelle et politique de la musique de transmission « orale », festive, rurale, qui remettra en selle de vieux bluesmen tels Bukka White, le magnifique Reverend Gary Davis, Son House, Mississippi John Hurt, etc.

Mais si les destins se croisent, c’est souvent pour mieux diverger. Alors que Johnny Temple ne cessera de tourner et d’enregistrer, à Chicago, durant les années 30 et 40, Nehemiah « Skip » James, qui ne grava qu’un seul disque, en 1931, et pour seulement 40 dollars, attendra plus de trente ans pour obtenir la reconnaissance du public. C’est ce fameux disque de 1931 enregistré pour Paramount dans le « grenier d’une fabrique de chaises » qui est présenté en intégralité sur le premier CD : treize pièces à la guitare, cinq autres au piano, le tout dans cette voix de fausset si singulière qui lui a valu sa réputation (les enregistrements des autres interprètes s’échelonnant, quand à eux, de 1929 à 1941).

Mais qu’a bien pu faire Skip pendant toutes ces années ? Ordonné pasteur dès 1932, il a prêché un peu partout et n’a pas touché à sa guitare, affirme-t-il. On aurait aimé que le folk revival s’anime plus tôt, et, qu’à l’instar du Reverend Davis et de tant d’autres bluesmen qui jouaient aussi bien du gospel que du blues, on puisse entendre la musique du seigneur côtoyer à nouveau les canons du diable. Mais, faute d’enregistrements, la biographie dessinée n’avait pas d’autre choix, elle aussi, que d’entretenir la noire légende. Et c’est ainsi que Skip, après certes avoir été envoyé au paradis, se retrouvera encore à immortaliser sa musique dans un bouge chaud bouillant du fond des enfers. Même en revenant, c’est toujours la malédiction.