Chronique

Bao Luo / Jean-Marc Foussat

Surface Calme

Bao Luo (voc, guzheng, fl), Jean-Marc Foussat (cla, elec, fx)

Label / Distribution : FOU Records

Voici plusieurs années que Jean-Marc Foussat propose, dans les albums sortis sur Fou Records comme avec d’autres productions, une musique où les sons triturés, répétés comme des mantras ou hérissés d’effets dessinent un monde très personnel et souvent onirique ; peu importe que les rêves soient doux ou angoissants. Avec Xavier Camarasa ou Jean-Luc Petit, il travaillait en duo une exploration de la lumière : crue et mordorée avec le pianiste, obscure et pleine de relief avec le multianchiste. On le sait depuis qu’on le connaît ingénieur du son itinérant avec son Studio Pyjama [1], Foussat a une approche très fidèle des voix, sensuelles et à la fois pleines de scories. Ainsi, cette rencontre avec la chanteuse chinoise Bao Luo est pour Foussat un formidable terrain d’expérimentation, comme en témoigne « Sur la Place », où quelques syllabes flûtées deviennent un écosystème entier, fait de reliefs et de lentes érosions.

Le matériel électro-acoustique de Foussat trouverait-il dans l’expression de son invitée un souffle différent ? Sont-ce les rares phrases chinoises égrainées par Bao Luo qui permettent une liberté supplémentaire ? Il semble que jamais la musique de Foussat n’a été si libre d’aller où elle veut, de prolonger les sons et de les faire siens, à l’instar de ces sons percussifs qui se transforment en un bourdonnement lumineux sur « Il était nuit ». Dans tous les morceaux de Surface Calme, un titre évocateur qui suggère une attention retenue par le moindre détail, le synthi AKS de Jean-Marc Foussat se concentre sur le souffle de Bao Luo. Peu importe qu’elle se saisisse parfois du guzheng, cithare couchée chinoise assez proche du koto japonais, ou des flûtes asiatiques.

Pourtant, on n’a nullement le sentiment d’entendre une musique « traditionnelle ». Si elle se nourrit d’extrême-Orient (« Les Lampes brillent », comme de multiples ballons rouges enflammés qui volent dans un ciel sans nuages), elle est totalement déterritorialisée. Ce n’est pas une Chine de pacotille, c’est un univers parallèle ; quelque chose d’un pays que les deux improvisateurs créent dans l’instant et qui n’a de frontières que nos propres oreilles, bien que teinté de nuances venues de l’Empire du Milieu. Comme souvent chez Fou Records, c’est Henri Michaux qui est appelé à l’explication de textes : « Ce qui gène surtout les Européens, c’est l’orchestre fait de fracas qui souligne et interrompt la mélodie. Cela c’est proprement chinois, comme le goût des pétards et des détonations ». Surface Calme c’est cela, une progression de sons escortés de toute une cargaison de feux d’artifice. Un plaisir enfantin.