Baptiste Trotignon

Vous reprendrez bien un peu de thé avec un nuage de lait ?

En 1968 le pianiste anglais Gordon Beck abolissait les frontières du jazz et enregistrait un album novateur, Experiments With Pops, entouré par John McLaughlin, Jeff Clyne et Tony Oxley. La traversée du Channel se fait aujourd’hui dans le sens inverse avec un pianiste français impliqué dans la relecture d’un répertoire pop britannique intemporel. Forger un nouvel univers à partir d’une simple mélodie n’est pas donné à tout le monde ; Baptiste Trotignon réussit ce challenge entouré par deux esthètes, Matt Penman à la contrebasse et Greg Hutchinson à la batterie.

Tout part des Beatles comme toujours, le tempo médium adopté sied à merveille à « Drive My Car », morceau issu de l’album Rubber Soul, qui propulsera les quatre de Liverpool dans une autre dimension. Avec « Message in a Bottle » de Police, la surprise provient de l’ambiance très fin de siècle, l’introspection apporte une dimension troublante à cette composition. Le trio réussit brillamment à insuffler du swing dans la partition de « Money » qui du coup est dépoussiéré, car le risque avec des reprises est de trop coller à l’esprit de chansons qui ont abreuvé un vaste auditoire. Pink Floyd se prête plutôt bien à l’exercice, l’univers psychédélique d’« Interstellar Overdrive » est bien restitué en dépit du format acoustique. L’émergence des ballades démontre le raffinement incarné par le jeu pianistique de Baptiste Trotignon, « Life On Mars ? » de David Bowie et « Maryan » de Robert Wyatt font ici figure de nouveaux standards.

Les deux sidemen ne se cantonnent pas à un accompagnement : il suffit d’écouter le jeu aux balais tout en douceur de Greg Hutchinson ainsi que les interventions solistes de Matt Penman dans « Maryan » et « Mother’s Little Helper » des Rolling Stones pour être transporté.

Le fabuleux Suite… paru en 2009 consacrait Baptiste Troptignon comme un compositeur talentueux ; dans Brexit Music c’est l’arrangeur astucieux qui parle. Si le Brexit a mis en difficulté les échanges commerciaux avec l’UE et si les programmes Erasmus ont pris du plomb dans l’aile, cet album réconcilie les passionné.e.s franco-britanniques de jazz et de rock, toutes générations confondues.