Chronique

Benjamin Moussay Trio

On Air

Benjamin Moussay (p, Rhodes, Synths, Logiciel Usine), Arnault Cuisinier (b), Eric Echampard (dms)

Label / Distribution : Laborie Jazz

Benjamin Moussay est un musicien que l’on s’arrache, notamment pour sa faculté de créer des couleurs, entre chimères de claviers et entropies électroniques. Récemment il y a eu, bien sûr, le magnifique Spoonbox de Claudia Solal [1]. Mais de manière générale, qu’il s’agisse de Frédéric Norel ou de Marc Buronfosse, les musiciens désireux de créer un paysage aérien autant qu’intimiste savent qu’ils trouveront chez lui une poésie de l’instant, à la fois solide et diaphane, à même d’apporter son univers propres à leurs compositions.

En tant que leader, il revendique logiquement une emprise totale sur la musique. Reprenant la formule en trio (Eric Echampard à la batterie, Arnault Cuisinier à la contrebasse) qui fit la réussite de Swimming Pool, il livre ici un album très personnel, influencé par le cinéma, auquel il se consacre souvent. Mêlant son jazz de teintes rock ou électro, il mène le jeu mais sait, par son talent d’écriture, laisser à ses comparses la liberté nécessaire tandis qu’il lui fournissent une assise confortable. C’est ainsi que « On Air », qui donne son nom à l’album, nous transporte dans une ambiance énigmatique de giallo [2] par son minimalisme électronique torride soutenu par une basse lourde et un piano distordu, lui-même renforcé par des riffs de Fender Rhodes alcalins. Le résultat, résolument pop et foisonnant d’images, revendique un format « chanson » où le rôle de la voix serait tour à tour tenu par un clavier ou par la contrebasse. La complicité évidente qui unit Moussay et Cuisinier, soutenue par l’inventivité sans limite d’Echampard, est ce qu’on retiendra de l’album, l’exemple le plus flagrant restant « Mood », la pièce centrale. Ici l’échange gracieux entre piano et archet, comme en lévitation au dessus des cymbales, est une mousseline ouvragée qui utilise tout le potentiel du studio - et des musiciens.

Car On Air est un disque à double sens. A la fois délicatement vaporeux, comme porté par les nuages d’une imagination fertile (le très apaisé « Stéphanie Smiles » ou le plus impétueux « Don’t Wake Me Up ! » et son ouverture électro tonitruante), il évoque également, par son titre, le voyant qui s’allume en studio quand « ça tourne. » Le morceau-titre est marqué par un imposant travail de re-recording qui permet un jeu de strates entre les différents claviers. Le logiciel Usine de Sensomusic, conçu par Oliver Sens, permet à Moussay d’en profiter pleinement mais aussi de créer un environnement propice aux plages d’improvisation au sein de morceaux très écrits. Sur « Light up », par exemple, il juxtapose un piano lyrique, parfois préparé, et des impétuosités électroniques, tandis que les deux autres musiciens bâtissent un écrin solide à force de cordes et de peaux, d’archet et de métal. Leur cohésion de groupe, alliée à des atmosphères à forte identité, rend le disque dans son ensemble redoutablement efficace. Et cette formule confère à Benjamin Moussay un statut bien particulier sur la scène hexagonale.

par Franpi Barriaux // Publié le 15 octobre 2010

[1Avec qui B. Moussay avait déjà enregistré Porridge days.

[2Genre de série Z italien popularisé par Mario Bava, qui mêle le policier, le film d’horreur ou la science fiction et dont la b.o. se réfère pêle-mêle au funk, au rock et au jazz.