Sur la platine

Benoît Delbecq, Steve Argüelles et la vie de bureau

Visite du Bureau du Son, récemment installé à Paris


Bien sûr, les images qu’évoquent certains mots ou certaines musiques sont radicalement personnelles, mais pour nombre d’entre nous, le nom « Bureau du Son » fait songer à une officine de services spécialisés : dératiseurs ou autres plombiers. Voire à de fantasques héros en costume, à la manière de Ghostbusters.

A bien y réfléchir, le collectif qui réunit entre autres Benoît Delbecq et Steve Argüelles n’est pas si différent de ces chasseurs d’esprits frappeurs. Les deux musiciens ont consacré leur carrière aux sons ; il les connaissent sur le bout des doigts. Pourquoi ne pas ouvrir boutique ? C’est le travail que l’on retrouve aujourd’hui sur le label Dstream, disponible sur les plateformes de streaming et d’achat.

Le Bureau du Son n’est pas qu’une expression. Avec le sound designer Nicolas Becker, ils ont fondé la structure pour expérimenter, certes, mais également répondre aux commandes, que ce soit pour le cinéma, les arts vivants ou même le travail de remixage. Argüelles est un excellent batteur, mais il est également un DJ reconnu. Delbecq a un toucher phénoménal, mais on sait qu’il aime toutes sortes de claviers. Quant à Becker, on peur le qualifier de collectionneur de sons, toujours à l’affût de chaque mouvement.

Sur « On The Lot », ouverture de l’album de Manasonics qui rassemble les trois créateurs, on retrouve une recette éprouvée : Delbecq est au piano, fort concertant tout en hésitant pas à aller fouiller dans les cordes. Argüelles aussi joue son rôle en effleurant les cymbales, tout en confiance avec le pianiste. Becker s’immisce dans le dialogue, creuse des brèches, crée des paysages fictifs à force de drones et de sons profilés. Il en résulte une franche atmosphère cinématographique : un film qui n’aurait d’autres images que celles que nous créons pour nous-mêmes, et où se mêleraient sons de cloches et pas lointains. Sans oublier les coins plus sombres, à l’instar du bien nommé « Cassavetes », aux fragrances opiacées où les machines de Becker prolongent la pulsation d’Argüelles comme un inquiétant flou de bougé.

Il a fallu que le Bureau du Son se dote d’un label en guise de vitrine aux allures de work in progress. C’est ici que paraît Foley, l’album de Manasonics, et plus récemment le nouveau titre de The Recyclers, où Argüelles et Delbecq retrouvent Christophe Disco Minck, un compositeur et bassiste qui travaille principalement pour le cinéma. Les deux pochettes sont quasi identiques, nonobstant la couleur : une simple photo et une étiquette, semblables aux boîtes d’archives qui contenaient des bandes audio.

Davout, de The Recyclers, est différent, quand bien même on retrouve cette omniprésente culture de l’image. Avant toute chose, ce groupe-ci s’inscrit dans un langage plus directement marqué par le jazz et notamment la forme du trio avec piano (« Minaret »). On se souvient des Recyclers avec Akchoté ; Minck, à la basse et à d’autres instruments comme le Moog ou la harpe, offre une palette plus large et délibérément voyageuse. Les attaques de Delbecq sont nettes, loin des espaces planants de Manasonics. Sur le long « Caboose », son jeu percussif double parfois la basse sur son rôle rythmique et trace une route sinueuse lorsque Minck passe au ngoni, rappelant sans exotisme malvenu qu’il a longtemps travaillé avec Rokia Traoré. Une synergie qui se retrouve également dans le plus explosif « Kitchen » et fait de Davout un album très excitant. Vous avez demandé le Bureau du Son ? Ne quittez pas !