Chronique

Bertrand Renaudin Trio

You’ve Got The Watch, We’ve Got Time

Bertrand Renaudin : d, comp ; Hugues Rousé : sax ; Sébastien Dochy : b

Label / Distribution : OP Music

Bertrand Renaudin s’essaie avec bonheur à de nouvelles collaborations et privilégie cette fois la formule en trio. Le batteur compositeur s’entoure du saxophoniste Hugues Rousé et du contrebassiste Sébastien Dochy et signe un album uniquement tissé de compositions originales, après avoir exploré des formations en quartet, lors de l’enregistrement de Jouer en 2013 et en duo pour Douö Live en 2005.

A travers des titres évocateurs - autant d’appels ou de rappels à des coins de planète proches et lointains : (« Witte‘s Blues »), (« Cameroun »), (« Paris Solo »), (« Là-bas ») - You’ve Got The Watch, We’ve Got Time se décline tout en nuances, sur des variations rythmiques pleines de vivacité. L’association au premier abord simple du trio offre la possibilité d’un travail ciselé de combinaisons, d’audaces, d’effets sonores surprenants, de dégradés teintés de swing subtil sur des tempos soutenus.
Il se dégage une belle unité de l’ensemble, de la couleur des thèmes à l’harmonie du récit. Les mélodies chantantes se déroulent au fil des plages, accompagnées par le va et vient des balais, tantôt vigoureux, tantôt plus légers. Chacune des atmosphères, à la fois familières et imprégnées d’influences multiples, est teintée d’un peu de cette poussière dorée si originale que le compositeur a rapporté de ses voyages.

L’album fait la part belle à cette forme de fusion qui dépasse de loin le simple collage, tournée vers le retour aux sources africaines du jazz. « Cameroun », « Granada » - empli d’une grande douceur - ne sont pas sans rappeler le projet du compositeur en 1998 (Le Ballet national de Guinée Conakry invite Bertrand Renaudin) et ses recherches autour de l’adaptation des rythmes traditionnels mandingues à la batterie moderne.
Le début de l’histoire, du conte qui se profile ici, laisse rêveur. Aux premiers rythmes de batterie (« Les pieds de Caroline »), il semble que la lumière vienne éclairer un tableau ou bien que le rideau s’ouvre sur un plateau prêt à accueillir des danseurs. La souplesse de jeu et la profusion des échanges s’imposent avec force. Quand les notes du saxophone alto s’élèvent et que la contrebasse, tout en gravité et en rondeur vient s’accorder aux deux premiers, fidèle au tempo, les instrumentistes semblent bel et bien liés par un arrangement mutuel.

Les espaces d’expression partagés contribuent à renforcer la sensation d’équilibre, en particulier dans les derniers morceaux. Les trois musiciens jouent ensemble depuis début 2014. Hugues Rousé, directeur du département Jazz du Conservatoire de Tourcoing, a contribué à donner plus de place à l’improvisation musicale dans les classes au Conservatoire. Quant à Sébastien Dochy, il a évolué de la guitare classique à la contrebasse et la viole de gambe, et joue notamment au sein du Trio Forge, créé à l’initiative du batteur Sébastien Dewaele. Son jeu chaleureux et délicat (« Dix pour toi »), (« La maison de mon père ») apporte de la profondeur, entre tenue et lâcher-prise, davantage peut-être quand les trois voix se font entendre. En se laissant porter par le moment à l’écoute de You’ve got the watch, we’ve got time, on se dit que, parfois oui, on a le temps.