Chronique

Blast

Madness Is The Emergency Exit

Anne Quillier (Fender, Moog, comp), Pierre Horckmans (cl, b-cl, comp), Guillaume Bertrand (dm, samples, comp)

Label / Distribution : Pince Oreilles

Une entame qui fait penser au Blues For Dracula de Philly Joe Jones, avec cette stupéfiante contrefaçon de la voix de Bela Lugosi [1] effectuée par le batteur lui-même ! Ce qui suit ne manque pas non plus de forte et brûlante intensité, et se centre ici sur les textes et les dessins de la célèbre bande dessinée de Manu Larcenet, avec au final un très bel hommage aussi au Pascal Brutal de Riad Sattouf.

Car un nouveau chapitre s’est ouvert dans la thématique « Jazz et bande dessinée », auquel Pierre-Henri Ardonceau [2] sera certainement très sensible. Car ce n’est plus l’œuvre littéraire et graphique qui se sert du jazz - ou de la vie des musiciens - comme prétexte, mais l’inverse. La culture contemporaine est en pleine familiarité avec la BD, et ce sont les musiciens qui se servent d’elle comme texte (ou prétexte) à construction musicale. Cela dit, on ne cherchera pas à situer les connexions de façon plus précise que dans d’autres cas, puisqu’on sait que le passage d’un registre à un autre dans le champ des arts reste une question ouverte, délicate et non résolue.

Soit donc un trio de forme classique depuis qu’Omer Simeon (cl), Zutty Singleton (dm) et Sammy Price (p) en ont exploré les possibilités de l’époque, au détour des années 50. Évidemment, comme on est en 2016, même si la forme instrumentale reste la même (claviers, clarinettes, batterie) le contenu musical change : entre épisodes calmes et crescendos énergiquement menés, entre volubilité mélodique et propulsion rythmique, sons de Fender en folie ou délicats ornements de petit piano, c’est un monde qui se dévoile, tour à tout angoissé, inquiétant, crispé, affolant, et puis soudain plus calme si ce n’est résigné, pour aller vers l’ironie amère de la conclusion : « Dans cette société vieillissante qui retourne vers la nuit, les pectoraux de Pascal [3] seront les dernières choses à briller quand tout sera éteint » Et, là dessus, le son de la moto s’interrompt.

Un très beau disque-concept, qui fait parfois penser à la façon dont Gainsbourg construisait les siens, et qui illustre la vivacité du collectif « Pince Oreilles » dont les musiciens ici en jeu sont des membres actifs. A suivre de près, et si possible à écouter d’urgence en concert.

par Philippe Méziat // Publié le 28 février 2016

[1Acteur principal du célèbre film de Tod Browning

[2Spécialiste - parmi d’autres - de cette thématique.

[3Pascal Brutal, héros de la BD de Riad Sattouf