Scènes

Bojan Z au « New Morning »


Pour la première fois, Bojan Z enregistre en trio : cela donne Transpacifik, son dernier album. Et ce, pour le plus grand plaisir du public, à en croire le monde qui s’était donné rendez-vous au « New Morning » le 4 novembre dernier. C’est donc avec un bonheur non dissimulé que le public a retrouvé le pianiste, accompagné du jeune Rémi Vignolo à la contrebasse, et du New-Yorkais Ben Perowsky à la batterie.

(Bojan Z par Patrick Audoux)

Pas de temps de repos, à peine entré sur scène et installé, le trio se lance dans Set It up, titre opportun pour ouvrir le concert. D’un tempo de marche sur un thème qui n’a rien de militaire, un beau chorus de basse de Rémi Vignolo vient poser des questions auxquelles Bojan Z semble répondre dans le monologue musical qu’il engage aussitôt. A la reprise du thème, tout se fait en finesse, la batterie de Ben Perowsky apporte des accents si subtils aux phrases de Bojan qu’elle semble, elle aussi, devenir un instrument mélodique. Le piano se dédouble, et la main droite répond à la main gauche qui caresse un Fender Rhodes pour mieux souligner le chant boisé du piano.

Le trio a le don de poser des ambiances en trois notes. Dans The Joker on passe d’une atmosphère lourde et oppressante, marquée par les basses lancinantes du piano, à une véritable sensation de libération et de légèreté. Le tempo s’accélère, piano et basse ouvrent les harmonies, ils semblent vouloir dire beaucoup, très vite. Puis subitement vient l’apaisement, un 4x4 piano-batterie en dialogue soutenu. La reprise du thème, tout en douceur, ne fait que tendre vers le silence final.

La longue introduction de Bojan Z sur Flashback montre bien à quel point le pianiste a su réaliser la synthèse des plus grands compositeurs du XXè siècle. On croit entendre une citation de Debussy, Ravel ou Bartók, on pense reconnaître un Duke Ellington, un Bill Evans, un Keith Jarrett tout à la fois, au détour d’une note, on croit isoler un toucher, et puis non, ce mélange bien personnel, c’est la marque indéniable de Bojan Z.

(Bojan Z par Patrick Audoux)

Par ailleurs, un même morceau peut être un voyage à lui tout seul. Dans Bulgarska, d’une bal(l)ade qui commence sur des accents nordiques au point qu’on songe aux titres d’inspiration scandinave de Carla Bley dans son album 4x4, ou encore aux compositions d’Esbjörn Svensson ou Tord Gustavsen, on se retrouve soudain au beau milieu des Balkans. Les couleurs ont changé, la mélodie perd son lyrisme simple et résolu des premières mesures, la voilà ourlée des parures de l’Europe orientale. La batterie se tait, un long chorus de contrebasse pose majestueusement des motifs sonores riches et denses.

Et le voyage continue. L’incroyable introduction de Ben Perowsky fait sonner des crécelles improvisées sur le bord de la caisse claire, crépiter toms et cymbales, le son s’amplifie, piano et contrebasse s’y joignent pour ne former qu’une voix, inspirée de la plus pop des compositions de Bojan Z. La fin est une apothéose qui laisse le public, la gorge sèche, excellent prétexte pour aller rejoindre le bar le temps de la pause.

(Bojan Z par Patrick Audoux)

Le deuxième set est tout aussi haut en couleurs. Sur Grznjan Blue, Bojan Z joue directement sur les cordes du piano, multiplie les œillades complices avec Rémi Vignolo et Ben Perowsky. Les trois musiciens font preuve d’une entente palpable. Les clins d’œil pop sur Run René Run, que chacun esquisse tour à tour, les font sourire. L’écoute entre les musiciens est totale. Sur l’introduction de Rémi Vignolo pour Sépia Sulfureux, Ben Perowsky ferme les yeux en signe d’assentiment, Bojan Z hoche la tête. Puis les deux derniers morceaux offrent une apothéose au public, pour qui la pression est à son comble, à tel point qu’il rappelle par deux fois lesmusiciens. Le trio lui offre alors Algérik, une composition inédite qui n’apparaît pas sur l’album, puis Purple Gazelle/Angelica, une reprise très réussie, en même temps que très personnelle, de Duke Ellington.

Les dernières notes sont jouées. Le voyage est terminé. Nous sommes bien au cœur de Paris.

par Perrine Warmé-Janville // Publié le 28 novembre 2003
P.-S. :

A écouter :

Bojan Z, Transpacifik

Bojan Z (p), Scott Colley (b), Nasheet Waits (d).

(Label Bleu 2003)