Scènes

Bojan Z au Sunside (26 août 2008)

Le pianiste franco-serbe jouait en trio, cette formule qui lui va si bien, tout en verve et en mouvement, devant un public passionné, emporté par l’enthousiasme et le plaisir communicatifs des musiciens.


Mercredi soir, neuf heures : la file qui part de la caisse du Sunside déborde largement sur la rue. Deuxième soirée « sold out » : « Pianissimo » a du succès ! Après Yaron Herman, Laurent Courthaliac, ou encore Giovanni Mirabassi, c’est au tour de Bojan Zulfikarpasic de se produire, avec Thomas Bramerie à la contrebasse, et Martijn Vink à la batterie.

Je rentre la dernière, après force négociations, et je me retrouve coincée juste devant la porte, à côté des verres sales et des pompes à bière. Le concert a déjà commencé, on se tait. La musique me semble lointaine ; impossible de se frayer un passage ! J’entr’aperçois le contrebassiste, un grand blond, parfois le bout du nez du batteur, mais jamais le pianiste. Des bribes de son me parviennent doucement.

Bojan Zulfikarpasic © Patrick Audoux/Vues sur Scènes

Des compositions que je ne connais pas - ou que je ne reconnais - pas s’enchaînent ; les têtes dodelinent et les pieds tapotent le sol discrètement. Piano, basse, batterie : la formule indémodable fonctionne bien entre les musiciens. Bojan Z s’adapte parfaitement tout en conservant son originalité. En trio ou en plus grande formation, il mêle toujours écoute de l’autre et expression personnelle avec brio. Cependant, je suis franchement déconcertée, entre les bruits du lave-vaisselle et ceux du punch qui coule dans les verres, par cet instrument étrange qui sonne tantôt comme une guitare électrique tantôt comme un synthé ! Pourtant j’aperçois bien la queue du piano, et personne autour de moi n’a l’air surpris ! Il s’agit, on me l’apprend un peu plus tard, du « xénophone », construit par Bojan lui-même, un Fender Rhodes trafiqué. Littéralement, « xénophone » signifie « voix de l’étranger » : voix curieuse, déconcertante, déroutante ?! Moi qui m’étais arrêtée à Transpacifik, je découvre un nouvel univers !

Le dernier morceau du premier set porte le nom de « la plus grande qualité de l’homme », annonce Bojan avec un léger accent : « l’avidité, ou greed ». Quelques rires fusent. Avide ? Ce morceau l’est sans aucun doute ! Avide de notes, de variations, de montées, d’éclaircies, de suspense ! Le xénophone donne des allures rock surréalistes au morceau, grâce à ce son inidentifiable, étranger, curieux, qui disparaît au moment où on ne s’y attend plus et réapparaît toujours au bon endroit. Ici, c’est un solo de guitare électrique enfiévré qui sonne à mes oreilles, et là, un synthé !

Après l’entracte, beaucoup de gens ont déserté et l’ambiance est au plus calme au fond de la salle ; le public reste suspendu aux doigts des musiciens, écoute attentivement les fréquents solos de Thomas Bramerie, tout en puissance et en mesure, et n’oublie pas le batteur Martijn Vink, discret mais présent. Le premier morceau contraste avec l’entrain précédent par sa douceur et sa volupté ; l’ambiance se fait plus intime. Cette balade est suivi de pièces « xénophoniques », puis de ce que j’appellerai un « intermède », qui restera dans ma mémoire le moment fort de la soirée.

Martijn Vink © Patrick Audoux/Vues sur Scènes

Une sorte de magie s’empare de l’assistance aux premières notes d’une nouvelle ballade, magnifique ; l’air se charge d’une grande émotion. La mélodie me parvient de loin, comme à travers le prisme d’une belle mélancolie inconnue, créée par quelques touches à peine, une musique tout en retenue, délicate et fine. Suit un silence total. Dix longues et immenses secondes avant les premiers applaudissements ! La preuve que l’écoute était d’une qualité inhabituelle.

Bojan Z termine le concert par une ultime composition qui nous tire de notre état second : entraînante, joyeuse… Tout le monde en sort revigoré et en même temps ému - ému par le souvenir d’un moment d’osmose, d’autant plus précieux qu’il était éphémère.