Portrait

Bojan dompte la basse au Black Bar

Animal dangereux ! La Kuntzrebasse blesse.


Bojan Z par Amira Medunjanin

En 2000, Souillac en Jazz programme Bojan Z en solo. Il fait beau, le concert est réussi, l’ambiance à la détente. Et puis après le concert, les organisateurs amènent, non sans intérêt, Bojan boire un coup au Black, un bar qui, durant le festival et sous l’impulsion du patron, lui-même saxophoniste, devient un club… et ce jusqu’à sa fermeture en 2007.
Bref, on débarque au Black où a lieu une jam de tonnerre (comme ce fut souvent le cas d’ailleurs). Au bout d’un moment, Bojan se lève, prend la contrebasse, un vieux clou pas possible qui appartenait à Jean-Pierre Kuntz et qui a rendu l’âme quelques années plus tard après un concert de Riccardo del Fra dans une grotte.

La suite de l’histoire a été publiée le lendemain dans la Jazzette, la feuille de chou du festival sous la plume de Jean-Philippe Birac. La voici republiée.

Bojan Z à la basse, par Amira Medunjanin.

La Kuntztrebasse, apparentée - mais de loin - à la glorieuse famille des contrebasses, née d’un croisement improbable entre une caisse à savon marseillaise et un jeu de cordes Martins extra dures, coulait des jours heureux dans son placard où son propriétaire - appelons-le JPK et ne l’accablons pas, tout n’est pas de sa faute - l’avait définitivement consignée, désespérant d’en sortir autre chose qu’un son monocorde et sourd.
Or un jour, il y a cinq ans de cela, et parce que le contrebassiste de Wallace Rooney se trouvait une heure avant le concert dépourvu d’instrument - celui qui venait d’arriver de Brive n’était pas à sa taille et l’on était un dimanche - un imprudent notoire, que dis-je ? un inconscient patenté, eut la mauvaise idée de la sortir de son cagibi pour la proposer à ce musicien imprévoyant. Il en résultat un combat sauvage où l’homme essaya de dompter la bête. Une empoignade homérique qui vit la Kuntztrebasse courber l’échine non sans avoir bousillé la main droite de son partenaire.

Depuis, revigoré par ce premier fait d’armes, cet animal dangereux s’offre chaque année de nouvelles victimes.

C’est Bojan Z. qui s’y est collé cette année. Cela se passait jeudi soir au Black Bar. Le bœuf battait son plein, l’ambiance commençait à monter et le pianiste yougoslave enfourcha la Kuntztrebasse, histoire d’ajouter un son de basse à la musique qui en était alors dépourvue - et pour cause tous les musiciens ne sont pas inconscients. De son face-à-face avec le monstre, Bojan Z. gardera trois souvenirs : notre surprise de le voir jouer sur un autre instrument que le piano, notre admiration pour son courage et sa ténacité à vouloir dominer cette erreur de la nature et… quatre ampoules à la main droite (occasionnant un arrêt de travail d’une semaine).

Depuis ce dernier mauvais coup, la Kuntztrebasse court toujours. Si vous la voyez, n’essayez pas de l’approcher. Elle peut ruer.
Téléphonez à Bob, le chef du festival. Il saura quoi faire.