Scènes

Branford Marsalis au New Morning

Branford a mis le feu aux poudres ce soir là !


Brandford Marsalis quartet
New Morning – 21 Juillet 2001

Brandford Marsalis (ts, Joey Calderazzo (p), Eric Revis (cb), Jeff Watts (d).

En cette période de festivals, le quartet de Brandford Marsalis a fait un petit détour par le New Morning pour deux soirées explosives. En deux sets magistraux, il a livré un jazz moderne et authentique devant un public curieusement morne.

Le premier set débute avec “ Mr JC ”, composition du regretté Kenny Kirkland, pianiste génial, complice de Marsalis notamment sur la musique de « Mo’better Blues » (le film de Spike Lee), ainsi que sur l’excellent « Dream of the blue Turtle » de Sting. Sur un up-tempo délivré par Jeff “ Tain ” Watts, c’est Calderazzo qui ouvre les hostilités avec un solo fleuve impérial, qui nous laisse à penser que la soirée ne sera pas ordinaire. Car Marsalis, s’il s’assied discrètement pour laisser s’exprimer ses sidemen, n’est pas homme à regarder passer les trains. Deux autres compositions de Marsalis, fruits des collaborations précédentes de ce quartet (“ Requiem ” sorti en 99 et “ Contemporary Jazz ” en 2000), sont l’occasion pour le leader de briller, guidé par le drive insensé de Watts et l’accompagnement stimulant de Revis. Au passage, on regrette la médiocre qualité du son (basse inexistante, piano trop brillant).

Le set est clos par une composition de Watts, issue de son album “ Citizen Tain ”. Et là l’attention croît, car sur scène, ça ne rigole plus. Une musique, engagée, audacieuse, sans complaisance. C’est l’esprit des premières heures du bop revisité par le Free Jazz. “ Tain ” n’est pas avare de breaks, à l’image d’un Elvin Jones. Mais comme son illustre prédécesseur, il dégage un swing puissant qui est une vraie rampe de propulsion pour Marsalis et Calderazzo. Ce dernier combine avec éloquence inventivité harmonique et énergie rythmique dans un solo à perdre haleine. Au sortir de cette course folle, le groupe nous laisse une petite demi-heure pour reprendre nos esprits.

Retour sur scène. Marsalis énonce une intro aux accents coltraniens, puis s’esquive discrètement. Revis lance alors quatre notes fameuses : Love Supreme. Quelques murmures dans la salle. C’est parti pour un pur moment de bonheur. Marsalis nous avait déjà donné à entendre une version studio époustouflante sur la face B d’une compilation sortie en 94 : Red, Hot + Cool. Il exécute une fois de plus avec éloquence et sensibilité un thème que peu de successeurs de Trane ont osé reprendre jusqu’alors. Acknowledgment, Resolution, Pursuance, Psalm : quatre pièces magistrales d’un des chefs d’œuvre du jazz. Calderazzo excelle une fois de plus sur Resolution, Revis jubile, Watts se fait plus discret pour laisser parler les improvisateurs. Un seul regret : Marsalis n’avait pas avec lui son soprano (égaré, semble-t-il, à l’aéroport).

Descente du nuage, que s’est-il passé ? Une question qui ne semble pas avoir concerné tout le monde, puisque de mous applaudissements ponctuent la prestation en guise de rappel.
Marsalis et les siens reviennent, un peu blasés : “ Now, we’ll play something that you all know ”. C’est un “ Cheek to cheek ” revisité avec malice (et désinvolture ?) par les quatre compères.

Dans une dernière composition anecdotique, Watts laisse nonchalamment sa batterie à un ami : on sent que le courant n’est pas complètement passé ce soir, malgré l’excellence de la prestation. Reste la sensation unique d’avoir vu du jazz, du bon, pas du réchauffé ou du préfabriqué comme certaines pointures américaines peuvent nous servir parfois.