Chronique

Cabaret contemporain

Moondog

Linda Oláh & Isabel Sörling voc ; Fabrizio Rat, p ; Giani Caserotto, g ; Ronan Courty & Simon Drappier, b ; Julien Loutelier, d

Label / Distribution : Sub Rosa

La figure du compositeur Moondog - ou Louis Hardin (1916-1999) -, dont on fête cette année le centenaire, semble susciter un certain intérêt dans le monde des musiques créatives, que ce soit chez Sylvain Rifflet et Jon Irabagon ou dans les projets de son biographe français Amaury Cornut [1].
Cabaret contemporain se situe dans la lignée de cette tendance avec son récent Moondog composé d’une dizaine de reprises du viking new-yorkais.

Venus du jazz contemporain, Fabrizio Rat (également membre du Magnetic Ensemble), Giani Caserotto, Ronan Courty (Tendimite, Actuum), Simon Drappier et Julien Loutelier (Actuum, Emile Parisien Quartet) s’attaquent avec Cabaret Contemporain aux compositeurs d’avant-garde de la seconde moitié du XXe siècle, tels que John Cage, Terry Riley et, pour le dire vite, les « technoïsent » sur les scènes de « musiques actuelles ». Ils se sont spécialisés dans les musiques répétitives, qu’ils jouent en acoustique, comme le Magnetic Ensemble et Jukebox, prédécesseur du Cabaret Contemporain, davantage « pop » que son grand frère.

Pour ce disque, ils ont puisé dans le répertoire percussif de Moondog et ont, en quelque sorte, « développé » les morceaux choisis en jouant notamment sur le tempo et la polyrythmie et/ou en y ajoutant un certain lyrisme grâce à la guitare et surtout aux voix des chanteuses. Deux contrebasses, deux voix féminines : la musique tient en équilibre entre ces deux pôles qui fonctionnent aussi bien à l’unisson qu’en décalage. Sur la base de boucles répétitives, ils s’amusent à créer des canons qui dévient les morceaux de leur chemin original, lequel est parfois aride, vers quelque chose d’à la fois lyrique et ludique.
Les voix y sont pour beaucoup, mais les sonorités « préparées » des instruments - le piano en tête bien sûr- ne sont pas en reste. Le tressage de sons complémentaires et « emboités » donne naissance à une techno à l’arrière-goût artisanal, l’acoustique permettant de supprimer la froideur industrielle des machines pour la remplacer par des identités sonores distinctes - peut-être l’élément le plus important de ce qui reste de jazz ici.
Au-dessus de ce bouillonnement technoïde flottent les voix Linda Oláh et Isabel Sörling (que l’on retrouve bientôt chez Airelle Besson), qui se chevauchent ou se répondent, créant de la profondeur et des phénomènes d’écho. Leurs voix, qui ici se ressemblent beaucoup, ont quelque chose de spécial et de flottant, tout en étant pourtant - et c’est là la prouesse - bien ancrées dans la matérialité du rythme. Cabaret Contemporain réussit avec ce Moondog une balance des contraires, entre ciel et terre, poésie et martelage, symbiose et plurivocité.