Chronique

Cabu Jazz [2]

Oscar Peterson

Label / Distribution : Nocturne

Avec les nouvelles parutions de la série Cabu Jazz Masters, à prix économique mais à haute densité musicale, nous poursuivons la (re)découverte de petits chefs-d’œuvre, compilés à partir de divers catalogues, et consacrés cette fois à quatre figures immenses dont l’une vient de nous quitter : Oscar Peterson ; ce qui nous permettra de lui tirer une ultime révérence.

Le géant canadien s’est en effet éteint le 23 décembre dernier à Montréal, à l’âge de 82 ans. Sa carrière débute dès 1949 avec les tournées des « All Stars du JATP » (Jazz at the Philharmonic) organisées par Norman Granz. D’une longévité exceptionnelle et sans histoire, le pianiste reste l’une des véritables stars du jazz : en solo, duo avec guitare ou contrebasse, trio, quartets, et même big bands, son talent et sa virtuosité rare lui ont permis d’assurer, dans chaque configuration, et magistralement.

Cet album, qui couvre les années 1952 à 1956, illustre une série d’enregistrements en trio, la formule souveraine, la plus classique : entente partagée avec un contrebassiste exceptionnel, Ray Brown, qui fera route commune avec le pianiste pendant de longues années. Ses guitaristes de prédilection seront d’abord Barney Kessel, puis Herb Ellis qui, avec ce trio-ci, débutera sa véritable carrière.

Si le premier CD est étonnant par la maîtrise et le talent de Peterson (qui s’approprie des standards de Count Basie dès le « One O’Clock Jump » inaugural, de Gershwin (« Fascinating Rhythm », Irving Berlin ou Arlen (une version très originale de « Over The Rainbow » qui ferait presque oublier le chant de Judy Garland), c’est le second CD, intitulé sobrement Live ! qui aura tous nos suffrages. L’interactivité en trio est saisissante, avec un Ray Brown ébouriffant sur toutes les prises de ce démentiel concert du Stratford Shakespearian Festival, le 8 août 1956 ! Le public classieux de cette ville universitaire, ne s’y trompe d’ailleurs pas : il est totalement sous le charme de cette virtuosité jamais démonstrative qui éclate dans la bonne humeur : ça swingue comme jamais et Peterson, non sans humour, finit de façon parfois très concertiste, comme dans ce « Gypsy Is My Soul » ; mais par-dessus tout, il déborde d’une énergie indéfectible, jusqu’au final déchaîné de « 52nd Street ».

Claude Carrière a raison d’écrire que l’on fond sur « How High the Moon ». Herb Ellis est rigoureusement en place, mais c’est encore le solo du contrebassiste qui laisse pantois. Quant à la version de « Flamingo », débarrassée des atours encombrants dont l’ont parée certains chanteurs emphatiques, elle fait apparaître toute la beauté de la composition, à sa juste mesure. On sera surpris de reconnaître un thème familier (repris par Richard Anthony, le chanteur à tubes des années soixante) qui porte bien son titre original « Swinging on A Star ».

Peterson chantonne tout au long de ce concert mémorable, sans ahaner douloureusement comme le fera plus tard un autre pianiste, qui en fera sa marque de fabrique. C’est sans effort que le pianiste exprime un travail pourtant colossal à l’image de sa figure devenue légendaire. En toute simplicité.