Chronique

Carate Urio Orchestra

Ljubljana

Joachim Badenhorst (cl, s), Eiríkur Órri Olafsson (tp), Seán Carpio (dm, g, voix), Brice Soniano (b), Pascal Niggenkemper (b), Frantz Loriot (v, voix), Nico Roig (g)

Label / Distribution : Clean Feed

Formation atypique à bien des égards, Carate Urio Orchestra publie ici son deuxième disque. Enregistré à l’occasion du Ljubljana Jazz Festival en Slovaquie dont il porte le nom, ce nouvel enregistrement est le résultat d’un travail mené un jour de fin juin 2015 et capté en direct, sans puis avec public, les deux jours suivants.

Réunissant pas moins de cinq nationalités (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Irlande) parmi les sept personnalités alignées, cette formation s’affirme avec une assurance (dont témoigne la rapidité de la mise en place) dépourvue d’ostentation et développe une ligne esthétique qui déroute au premier abord pour finalement séduire. L’ensemble s’articule en effet autour d’un regroupement d’instruments qui déborde du cadre traditionnel des formations élargies, puisque la section rythmique compte deux contrebassistes et un batteur également chanteur tandis que les cuivres (clarinettes et ou saxophone) s’adjoignent un violon et une guitare électrique.

Ces derniers, loin de fournir l’apport convenu en s’appropriant les parties hautes ou de simples accompagnements, œuvrent de préférence dans le cœur du son, au sein duquel ils proposent tout un éventail de bruits, grattements et autres grincements qui viennent troubler les longues harmoniques des soufflants. Axés sur une pratique extrêmement distendue du continuum sonore qui écarte toute idée de valorisation individuelle (si ce n’est l’introduction à la clarinette sur “Epic Silent”), ils font de chaque titre une plongée dans des climats étranges. Ces avancées inexorables sont le moyen de travailler longuement des textures dans lesquelles le moindre événement est un nouvel enrichissement, à tel point que le silence qui gagne les grands espaces ouverts par cette pratique finit par se constituer en matière palpable (“Sola ni mayagali”).

Dans l’implicite d’une pulsation qui maintient une tension souple et originale, tout un monde se dévoile et, dans les moments les plus extravertis, flirte avec les fanfares free entendues durant les années 60 - c’est le cas sur “Vers la chute” - ou les déflagrations chères aux musiques improvisées comme sur “Conducted”. Plus surprenantes, quelques pièces chantées, directement reliées à ce que la pop peut faire de plus délicat (sur “Chhia-chām”), s’invitent de façon incongrue mais assumée avec beaucoup de sentimentalité et de sincérité (le trompettiste Eiríkur Órri Olafsson est également membre de la formation électro-pop Mum). Parmi toute cette génération de musiciens entièrement au service de la musique et qui ont depuis longtemps remisé leur ego (Pascal Niggenkemper, Frantz Loriot ou Joachim Badenhorst, à suivre de toujours plus près), cette formation à la tonalité élégiaque quelle que soit la forme prise se plaît à assembler les genres dans une volonté de syncrétisme et se positionne ainsi à la pointe d’une forme de modernité.