Chronique

Cataclysm Box

Mechanical Pieces

Jean Gros (g, comp), Maxime Berton (sax), Jérôme Arrighi (b), Martin Wangermée (d)

Premier album d’un groupe créé il y a moins de trois ans par de jeunes musiciens issus du Centre des Musiques Didier Lockwood, Cataclysm Box, qui commence à faire parler de lui sur beaucoup de scènes hexagonales.

Avec raison(s).

Le nom de groupe évoque un jeu vidéo bien connu, mais ce n’est qu’une des clefs d’entrée d’une musique aux visages divers. On la sent familière du monde ECM aussi bien que du blues-rock des années 1970, du funk à la James Brown comme des minimalistes nord-américains. Du jazz aussi, des origines à nos jours, et bien que pour les puristes ce ne soit « pas du jazz », qui d’autre que des musiciens de jazz pourrait créer un pareil univers sonore ?

Les titres (en anglais, quoique… « Fric Out ») renvoient à une imagerie héritée de la veine sombre qui parcourt le rock des Doors au metal, du Velvet Underground à Joy Division, de Nirvana à… mais je m’égare.
Il n’y a pas que les titres. Ecoutez, par exemple, « Dawn of Tomorrow » et dites-moi si vous n’imaginez pas, par moments, des mots de Jim Morrison se posant sur la mélodie. Ou Kurt Cobain dans « Endless Day ».

Pour autant, les compositions de Jean Gros ne sont pas des chansons instrumentales. Plutôt des films, courts ou moyens métrages où se succèdent des plans, des climats, qui vous plantent un décor et vous disent des tas de choses sans vous faire la leçon. On y traverse des contrées étranges, des espaces interstellaires à la Steve Reich, des boucles à la Terry Riley et des minutes de gros blues qui tache (« Origin and Chaos » Part. 1, 2 & 3), des intermèdes balkaniques sur fond de riffs rock (« Two Feet No Ground »), du funk qui sent sous les bras et se barre en blues à la Stevie Ray Vaughan (« Kiwi Cosmic »), des musiquettes entêtantes façon Game Boy contestées par de noires vagues de cymbales et de basses (« Fric Out »), une ballade éthérée sur des sons de guitare à l’envers et à l’endroit (le bonus track)…
Surtout, elles dessinent un son de quartet, et pas de groupe accompagnant un leader. Les premiers rôles sont partagés, même si la mélodie revient en alternance à la guitare de Jean Gros et aux saxophones de Maxime Berton - l’un comme l’autre étonnants de souplesse stylistique. Martin Wangermée à la batterie s’y entend à dicter les dynamiques, lancer, retenir, faire monter la sauce, calmer le jeu, coller tout le monde à la terre ou faire décoller l’ensemble dans un clapotis de baguettes. Et la basse de Jérôme Arrighi, faussement discrète, n’est pas cantonnée dans un simple rôle de rappel harmonique : au contraire, elle prend souvent des lignes « off », des septièmes, des neuvièmes, qui contredisent l’harmonie principale comme du piment sur un fruit, comme du sel sur le sucre.

On trouvera évidemment des choses à redire, comme ces mesures à temps incomplets dans « Endless Night », qui n’apportent pas grand-chose au propos, ou quelques longueurs dans les chorus de guitare - le plaisir du musicien prenant le pas sur la rigueur du discours. Faiblesses vénielles de la part d’un groupe composé de musiciens très jeunes et d’une maîtrise étonnante qui donnent sans compter (sauf, parfois, les temps de ces fichues mesures asymétriques).
Qu’on se le dise : Mechanical Pieces est un premier album très intéressant et Cataclysm Box un groupe à suivre.