Entretien

Cécile McLorin Salvant

Rencontre avec une musicienne libre et engagée

Photo : Christophe Charpenel

A l’occasion de la sortie de son nouveau disque The Window, un recueil de dix-sept chansons en duo avec le pianiste Sullivan Fortner, la chanteuse a accepté de répondre par mail à quelques questions de la rédaction. Pas vraiment une rencontre, mais plutôt un questionnaire.

- Certains vous qualifient de « contre-diva », qu’en pensez-vous ?

Je ne sais pas trop quoi penser… Pourquoi pas !

- Rétrospectivement, comment percevez-vous vos années de formation au Conservatoire d’Aix-en-Provence ?

J’ai appris énormément de choses et j’étais très encouragée, soutenue. Je n’ai pas assez profité de ces moments.

- Comment continuez-vous à travailler votre art vocal et, plus généralement, le jazz ?

J’essaie d’apprendre des nouvelles chansons quand j’ai un moment. J’écoute beaucoup de musique en boucle. Je travaille au piano quand je suis chez moi. J’essaie de garder un rythme de travail malgré les tournées qui chamboulent tout.

Cécile McLorin Salvant par Gérard Tissier

- Comment et pourquoi le chant en français prend-il de plus en plus de place dans votre répertoire ?

C’est ma première langue, et malgré cela j’ai hésité longtemps avant de chanter en français. Mais quand je chante en France, ça me permet de communiquer plus directement avec le public. Les textes sont très importants pour moi et ça me frustre qu’ils ne soient pas compris. Il y’a beaucoup de chansons françaises très intéressantes, drôles, incisives, inquiétantes, émouvantes.

- Est-ce que votre double culture, européenne et étasunienne, est un frein à votre expression hors des traditions du jazz ?

Je ne sais pas trop ! C’est peut être un frein pour chanter le flamenco ? Voilà une musique qui me passionne de plus en plus. Quel dommage de ne pas être née en Espagne ! Toutes blagues à part, je suis incapable de dire ce que ma culture m’empêche de faire. Je suis trop près de la chose.
Je pense que c’est d’avoir un accès à plusieurs perspectives. J’ai l’impression qu’en grandissant à Miami ce n’était pas une double culture mais une multiplicité de cultures. La France, les États-Unis, mais aussi Haïti, les Caraïbes, les différentes cultures sud-américaines. On apprend à s’adapter, à communiquer peut-être plus facilement, à travers certaines références, à travers les langues, et l’humour. C’est une richesse d’avoir accès à cela.

- Est-ce différent d’être une femme noire aux USA qu’en France en 2018 ?

C’est une question fascinante car je pense qu’il est impossible d’y répondre. Pour y répondre, il faudrait se plonger dans des généralisations sur le racisme en France et le racisme aux États-Unis. Ces généralisations me fascinent, mais, en même temps, ce sont des constructions qui n’ont pas grand-chose à voir avec ce que je vis personnellement.
Je suis très intéressée par la notion d’identité et la façon dont elle se manifeste, comment elle est utilisée dans le politique.

- Est-ce le jazz vous semble compatible avec le féminisme ?

Oui ! Mais le jazz est aussi compatible avec le sexisme, l’homophobie et toutes sortes d’autres systèmes d’idées considérés arriérés aujourd’hui. Comme toutes les formes d’art, je pense que le jazz en lui-même n’a pas de valeurs morales. Et longtemps la musique américaine, ou plutôt les musiciens et compositeurs, ont propagé des idées racistes et misogynes.

Cécile McLorin Salvant par Michel Laborde

- Est-ce que vous envisagez un album entier de vos compositions (texte et musique) ?

Oui, mais il faut encore travailler beaucoup.

- Pouvez-vous nous expliquer le choix de Sullivan Fortner pour cet album en duo ?

Sullivan est un pianiste incroyable, surprenant. Il y a trois ans, il m’a invité à chanter avec lui, en duo, dans un petit club à New York et c’était vraiment merveilleux. J’adore chanter avec lui.

- Est-ce que la notoriété et la reconnaissance rapides sont un avantage ou un inconvénient pour vos choix artistiques, vos projets futurs ?

Je pense que c’est un grand avantage. J’ai beaucoup de chance ! La petite pression qui accompagne cette reconnaissance n’est pas un prix énorme à payer.