Chronique

Céline Bonacina Trio & Nguyên Lê

The Way of Life

Céline Bonacina (bs, as, ss, voc, comp), N. Garnier (b), H. Ratsimbazafy (dm, perc, voc) + Nguyên Lê (g, 3-7-11-12)

Label / Distribution : ACT

Lauréate de nombreux prix, notamment celui du Tremplin Rezzo de Jazz à Vienne en 2009, Céline Bonacina peut enfin présenter un deuxième album après l’autoproduit Vue d’en haut avec son trio Alefa (qui signifie : « vas-y, fonce ! ») et signer un contrat d’artiste avec le label ACT.

Entre-temps, cette musicienne polyvalente et vaillante a beaucoup joué dans les festivals aux côtés de pointures [1], beaucoup plus en province qu’à Paris où, curieusement, elle semblait être trop peu soutenue par rapport à d’autres consœurs saxophonistes. Sa rencontre avec Nguyên Lê a été déterminante : au départ ingénieur du son, puis directeur artistique, le guitariste est vite devenu co-producteur de ce « Chemin de vie » sur lequel Céline l’invite à jouer sur quatre morceaux.

Ce sont en premier lieu l’énergie, la vitalité, la fougue, l’intensité lyrique qui fascinent ici l’auditeur, par contraste avec la silhouette frêle mais décidée de l’artiste face à cet éléphantesque instrument qu’est le saxophone baryton ; elle en use sans abuser de ses ressources, toujours juste dans ses interventions, jusqu’à en repousser les limites : travail sur le son, harmoniques, respiration, souffles, slaps, growls, maîtrise des aigus pointus et des graves épais et profonds…

De ses compositions (9 titres sur 13) on retient le le côté enjoué des rythmes à la fois complexes et dansants qui proviennent de son long séjour à la Réunion (métissage affirmé de cultures différentes comme ce « Ra Bentr’ol » signé O. Andriamampianina) mais surtout la clarté, l’évidence des thèmes, en un mot : le chant qu’on capte et retient, et qu’elle nous communique avec un naturel réjouissant. Je pense particulièrement, en écoutant « ZigZag Blues » et « Free Woman », au final d’« Acknowledgement », première partie d’A Love Supreme de Coltrane, et à « The Creator Has A Master Plan » de Pharoah Sanders, thèmes en/chantés que nous fredonnions tous à la sortie des concerts du festival d’Antibes - que nous fredonnons encore. Céline Bonacina fait bien de nous rappeler qu’elle excelle aussi au soprano - écoutez sa sonorité éthérée sur le mystérieux « Entre deux rêves » (R. Molinier), proche du recueillement - et à l’alto, tout son contraire, avec un « Jungle » fiévreux, turbulent, furieusement enjoué.

Le batteur-percussionniste Hary Ratsimbazafy, originaire de Madagascar, délivre une pulsion/pulsation élégante et solide, et le bassiste Nicolas Garnier une coloration venue du rock, comme les interventions fusionnelles de Ngyuên Lê, autant de partenaires en parfaite communion avec une reine dont on n’a pas fini d’entendre parler… et qui n’a pas fini de jouer après ce voyage (d)étonnant et sidérant au pays du baryton-roi.

par Jacques Chesnel // Publié le 20 juillet 2010

[1Wynton Marsalis, Andy Sheppard, Nils Landgren, Omar Sosa, Alain Jean-Marie…