Chronique

Charlie Haden - Gonzalo Rubalcaba

Tokyo Adagio

Charlie Haden (b), Gonzalo Rubalcaba (p)

Label / Distribution : Impulse !

Longtemps qu’un disque de jazz 100% pur frais ne m’avait pas retenu au point que plusieurs écoutes n’en épuisent ni l’intérêt, ni le charme, ni la beauté. Enregistré au Blue Note de Tokyo en 2005, constitué en effet de pièces plutôt lentes - d’où sans doute le titre du disque - ce duo entre le pianiste cubain et le contrebassiste américain fait suite à de nombreuses rencontres, dont il nous reste The Montreal Tapes (1998), Nocturne (2001) et Land Of The Sun (2004).

« En la orilla del mundo » de Rojas Martin et « My Love And I » de Johnny Mercer, donnent déjà le ton d’un dialogue sensible, mesuré, attentif, quasi amoureux. Mais quand vient « When Will The Blues Leave » d’Ornette Coleman, la tension se fait palpable, Charlie Haden prend le premier la parole en un long chorus méditatif, et c’est au tour de Rubalcaba de dire ce qu’il en est. Advient alors un solo d’une splendeur peu commune, fait de toutes petites choses de main gauche et de main droite, comme si la première frappait à peine pendant que la seconde volubilise, tout en restant légère. Le swing qui s’en dégage se situe entre ce qu’ont fait de mieux John Lewis (qui a dit que l’auteur de « Django » ne swinguait pas, que je lui règle son compte ?) et Phineas Newborn. Vous voyez ce que je veux dire ? Non ? Et bien écoutez, les mots ne peuvent rien devant tant de justesse et d’invention. Que cette musique console du bruit ! Et je ne dis rien du tapis élastique et caoutchouté que monsieur Haden déroule sous les accents mesurés du pianiste. J’ai écouté cette pièce dix fois, elle m’échappe toujours. Comme elle a du paraître énigmatique aux auditeurs de ce concert : ils ne semblent pas très nombreux, et c’est dans un silence total de fourchettes qu’ils hésitent à rompre le charme en applaudissant.

Après ces 8’30 de bonheur absolu, il faut bien accepter de redescendre un peu. « Sandino » (de Charlie Haden), bien enlevé et même presque remuant, puis « Solamente una vez » - quelle belle chanson encore - et « Transparence » nous permettent cet atterrissage, en douceur rêveuse.