Chronique

Charlie Hunter Trio

Friends Seen and Unseen

Charlie Hunter (guitare à 8 cordes), Derrek Phillips (d), John Ellis (ts, fl, clarinette basse)

Label / Distribution : Ropeadope

Dix ans après le disque Bing, Bing, Bing !, retour à la formule du trio pour Charlie Hunter. Du quintet de l’album Right Now Move, les seuls rescapés sont le saxophoniste John Ellis et le batteur Derrek Phillips. Même si, de l’aveu de Hunter, le quintet a été dissous pour des raisons principalement économiques, le trio semble être pour lui la structure d’expression idéale. En effet, l’équilibre est parfait entre la mélodie offerte par John Ellis, le rythme porté par Derek Phillips et les interventions de Hunter, qui sont à la fois rythmiques et mélodiques grâce à son étrange instrument à huit cordes, mêlant cordes de guitare et de basse.

On trouve sur ce disque l’ambiance générale d’un groove bâti autour d’arrangements minimalistes mais aussi de structures complexes et de thèmes riches et élaborés ; après les fortes contraintes d’écriture liées à la direction d’un quintet, Hunter semble avoir privilégié la liberté d’expression et l’espace, pour lui et ses deux acolytes. La moitié des titres est signée par Charlie Hunter, l’autre moitié par Ellis, l’arbitrage étant effectué par une unique reprise d’Abdullah Ibrahim, « Soweto Where It’s At ». On gravite donc autour de la planète groove et de ses nuances. La reprise d’Ibrahim va jusqu’à évoquer un gospel, tandis que « Running In Fear From Imaginary Assailants » est l’occasion d’asséner à la pédale wah-wah
saturée des riffs binaires dignes d’une techno-parade, et que « Eleven Bars for Gandhi » est un blues lent dans la plus pure tradition du style. Les autres morceaux sont plus homogènes mais se caractérisent toujours par un humour et un détachement manifestes. « Darkly » (seule pièce co-signée Ellis/Hunter) est probablement le meilleur titre de l’album ; John Ellis y joue de la flûte dans une atmosphère de téléfilm des années 70, et y expose un superbe thème
très cinématographique avant de se lancer dans des improvisations soutenues par des sons d’orgue Hammond en accord (Hunter) ; il s’efface ensuite pour laisser place à un duo endiablé entre le leader et le batteur. Irrésistible.

Enfin, il est intéressant d’écouter attentivement l’interaction entre les parties de guitare et de basse, puisque Hunter joue simultanément des deux. Ainsi, dans les morceaux lents tels que « Soweto Where It’s At » ou « Eleven Bars for Gandhi », Hunter se consacre à des solos de guitare et restreint la basse à son strict minimum (cependant parfaitement adapté à un blues ou à un gospel). Au contraire, sur les titres plus rythmés (« Bonus Round »), les lignes de basse sont plus appuyées, rapides, et portent le groove quasiment à elles seules, la guitare se manifestant sous forme de brefs
accords de soutien.

Bref, un disque étonnant qui confirme la constante recherche musicale d’un musicien
hors norme, tant dans la forme (Hunter a expérimenté tous les types de formations du solo au quintet) que dans le fond, à travers l’exploration des frontières du groove.