Sur la platine

Chet Baker on Vogue

LDE 045 et LDE 116


33 + 45 = 78

Chet Baker (tp), Russ Freeman (p), Bob Whitlock, Carson Smith (b), Larry Bunker, Bobby White (dm)

Quelques détails discographiques d’abord. Le 25 cm LDE 045, avec sa pochette verte dessinée par Pierre Merlin (une rareté, car Merlin dessinait uniquement les pochettes françaises, et elles étaient reprises par les Anglais, mais pas de façon systématique), correspond aux tout premiers enregistrements de Chet pour Pacific Jazz, avec d’abord une paire rythmique composée de Bob Whitlock et Bobby White, puis la fameuse et brillante association de Carson Smith avec Larry Bunker. Ces prises datent de fin juillet 1953, et ce sont elles qui ont fait connaître Chet Baker. Le titre donné à l’édition anglaise sur label Vogue est explicite : Eight Cool Sides. Probablement sans aucune information sur la musique, Pierre Merlin a donc dessiné des musiciens dans des baignoires, soit « dans le frais » de l’eau du robinet. Mais qu’aurait-il fait de plus et de mieux en écoutant ce quartet ?

Quant au LDE 116, titré « Featuring Russ Freeman » (ce qui prouve que le pianiste avait fait son chemin dans l’oreille des amateurs), il correspond à la session du 3 octobre 1953 et sa pochette anglaise utilise une rare photographie d’un certain Moorshead. Les éditions françaises de ces faces ont été publiées sous l’étiquette Swing. Inutile de dire que ces enregistrements sont disponibles depuis les années 50, et on fait l’objet de très nombreuses (et compliquées) rééditions en CD, mp3, etc.

Si l’on s’intéresse maintenant au contenu musical de ces faces célèbres, on ne peut qu’être étonné de deux ou trois choses manifestes, ou qui nous semblent telles. D’abord Chet Baker y est totalement lui-même (à part le chant, absent au tout début), au point qu’on ne pressent pas chez lui autre chose que son immense talent de trompettiste et d’improvisateur, qu’il maintiendra jusqu’au bout malgré le chaos de sa vie. Son bien ourlé, plein, phrasé superbement articulé, mise en place parfaite, émotion au rendez-vous quand il le faut (« The Thrill Is Gone »), et donc bien plus proche d’une certaine façon d’un « disciple » de Clifford Brown que de Miles Davis. Or on a fait des gorges chaudes de la rivalité Miles/Chet, en accusant plus ou moins ce dernier d’avoir copié le trompettiste de la côte Est. Accusation qui ne tient pas à l’écoute, quasiment rien (sinon l’allusion médiatique au « cool ») dans la manière Baker ne relevant du style de Miles Davis à la même époque. Et pour cela, écoutons encore une fois le fameux « Imagination », où Chet sonne quasiment comme une trompette basse, voire un trombone. Grand risque et belle musique ! Miles suivra des voies bien différentes, et plus axées sur l’invention de nouveaux langages musicaux.