Chronique

Claude Tchamitchian Acoustic Lousadzak

Need Eden

Géraldine Keller (voc), Fabrice Martinez (tp, tp piccolo, bg), Catherine Delaunay (cl), Roland Pinsard (cl, bcl), Régis Huby (vln), Guillaume Roy (alto), Stéphan Oliva (p), Rémi Charmasson (g), Claude Tchamitchian (b, comp), Edward Perraud (dms, perc)

Label / Distribution : Emouvance

La vie est belle, cela va sans dire.
Si belle d’ailleurs, que ce qu’elle nous impose parfois est de l’ordre de l’insoutenable. Récemment, Claude Tchamitchian avec son sextet avait fait de l’une des horreurs qui nous ont été infligées (le génocide du peuple arménien) la base d’une œuvre forte, intense : Traces. Need Eden, disque de la nouvelle mouture du Lousadzak, en constitue une sorte de réponse, une réflexion non plus basée sur des faits historiques mais plutôt sur une question globale concernant la vie et ses possibles après.

A partir de textes de Christine Roillet, Claude Tchamitchian a imaginé trois suites respectivement intitulées « Eveil », « Lumières » et « Passage », abordant à demi-mot, sans théologie, la question d’un ailleurs moins torturé, ou d’un ici plus serein.

Afin de mettre en musique les émotions inhérentes à cette démarche spirituelle, le contrebassiste a totalement repensé son Lousadzak. La recherche de la lumière reste une constante, comme le travail, toujours minutieux, sur les couleurs orchestrales et la complémentarité des timbres. L’instrumentation montre clairement une volonté de proposer pour ce programme des textures soyeuses et des possibilités de sous-ensembles.

En cela, le tout acoustique reflète par son côté organique la nécessité de revenir à l’essence des choses, de gommer les artifices modernes pour se concentrer sur l’émotion. L’Acoustic Lousadzak, constitué de magnifiques improvisateurs tous proches du contrebassiste, livre une interprétation poignante de ses compositions, qui sont elles-mêmes de véritables trésors de raffinement. L’orchestre se démultiplie : aux séquences mélodico-rythmiques se superposent des nappes harmoniques, des bruissements et des prises de parole individuelles. Toutes les séquences sont fondues, enchaînées, imbriquées jusqu’à donner l’impression d’émaner d’une masse en perpétuel mouvement. En son sein, mille beautés. Chaque suite, chaque morceau, chaque épisode à l’intérieur des morceaux est le fruit de l’entremêlement de l’écrit et de l’improvisé, chacune de ces facettes ayant été particulièrement soignée.

La richesse du son se dévoile tout entière dans « Imaginer l’éternité », où succède à une introduction très improvisée (avec un solo de clarinette époustouflant de Catherine Delaunay) un thème séraphique porté par une rythmique toujours bouillonnante et caractérisé par une rare luxuriance sonore, à laquelle participe Géraldine Keller avant de revenir au verbe sur des motifs cycliques qui ne sont pas sans rappeler les caractéristiques d’écriture chères au violoniste du groupe, Régis Huby.

Sur l’instrumental d’ouverture, « Les Promesses de l’aube », Claude Tchamitchian pose les bases de sa proposition musicale, avec une mise en place par strates qui se juxtaposent ou s’évaporent. Étroitement imbriqués, les textes et la musique se répondent, s’étayent mutuellement. Violon, alto et contrebasse prolongent sur « Peur » l’interprétation écorchée de Géraldine Keller pour glisser vers le troisième et magnifique mouvement de la suite, « Éveil », où Stéphan Oliva, Guillaume Roy et Fabrice Martinez font successivement émerger du silence de belles prises de parole qui relancent le propos collectif. L’alternance de passages épurés et de dynamiques relancées constitue la chaîne des « Montagnes intimes » dont il est question.

Dans Need Eden se joue l’importance de l’individu dans la multitude. C’est pourquoi le contrebassiste s’est entouré de personnalités fortes, qu’il s’est efforcé de mettre en valeur, à l’image du groove puissant qui porte le solo de Régis Huby puis du concerto pour batterie (formidable Edward Perraud) imaginés dans « L’Ivresse du chemin », de l’écrin puis l’espace offerts à la clarinette basse de Roland Pinsard dans « Laisser, se laisser », de la transition entre « Rire et mourir » et « Encore » assurée par les graves profonds de la contrebasse, ou du très beau passage en trio durant lequel Rémi Charmasson s’illustre sur « De l’autre côté d’où tu es né ».

De façon presque imperceptible, habilement disposés dans la narration globale, les solos mettent tour à tour en avant chaque individu de l’orchestre. Et chaque personne s’attache, par effet d’entrainement, à favoriser l’éclosion d’une démarche éminemment collective. C’est peut-être là l’une des clés d’un paradis retrouvé.