Chronique

Claudia Solal/Benjamin Moussay

Porridge Days

Claudia Solal : v, Benjamin Moussay : p, kb.

Label / Distribution : Le Chant du Monde

Cela fait déjà plusieurs mois que le duo Claudia Solal/Benjamin Moussay nous régale sur scène

Les voici enfin réunis sur un superbe album grâce au Chant du Monde, une maison de disques dont le nom semble avoir été créé pour eux.

J’ai été tellement fasciné, intrigué par cet album que j’ai interrogé Benjamin Moussay et Claudia Solal pour mieux comprendre cette musique. Cette chronique mêlera donc mes impressions et leurs réponses.

Tout d’abord, visuellement, cet album est un bel objet à la présentation soignée. Claudia Solal m’a d’ailleurs confié avoir passé beaucoup de temps avec la maison de disques sur ces visuels.

A l’écoute, l’album se révèle d’une immense richesse, fait de morceaux de puzzle qui s’imbriquent, du dialogue permanent de deux artistes . Il ne s’agit pas du disque de la chanteuse avec son pianiste mais bien d’un échange à égalité suivant les traces augustes de Jeane Lee avec Ran Blake ou Mal Waldron, de Bugge Wesseltoft avec Sidsel Endresen, d’Eric Watson avec Linda Sharrock, bref, à la frontière du Jazz, de l’improvisation libre et de la musique contemporaine. Distinction d’ailleurs oiseuse. Toute musique n’est elle pas contemporaine dès l’instant où elle est jouée et écoutée ?

Ce duo vient d’une sorte de hasard. Claudia Solal jouait avec le trio de Benjamin Moussay un répertoire composé de standards, de ses compositions et de celles de Martial Solal. Pour une date, à Lens, le contrebassiste et le batteur n’étaient pas libre. Ils y allèrent tous les deux, la chanteuse et la pianiste, Claudia et Benjamin. Les portes d’un nouvel univers s’ouvrirent alors devant eux. Libre de tout support rythmique, Claudia improvisa avec sa voix comme elle n’osait pas le faire en quartette. Benjamin sortit, même sur les standards, du schéma classique, exposé du thème, improvisation, retour au thème, conclusion, qui est le pain quotidien du jazzman.

Il ne s’agit plus d’un pianiste fournissant un support à une chanteuse mais d’un échange entre deux instrumentistes. S’ils jouent des morceaux aussi courts, c’est qu’ils refusent de se fixer sur une forme, préférant laisser libre cours à leur imagination, changer d’ambiance comme on change d’air, s’imposer cette rigueur créatrice de la densité dans la brièveté. Comme des auteurs de haïku, ils ont cherché et trouvé l’équilibre entre improvisation et respect du format bref, la liberté dans la contrainte.

Claudia Solal, née d’une mère anglophone, a toujours été fascinée par la littérature de langue anglaise. En cueillant au hasard les fruits de sa bibliothèque, le choix d’Emily Dickinson, poètesse américaine du XIX°, s’est imposé de lui même tant la brièveté des poèmes, leur humour, leur singularité, le sentiment d’espace et de nature qu’ils dégagent correspondent à son état d’esprit. Et si elle n’aime pas parler sur la musique, elle fait une exception pour ces textes qu’elle lit, même sur scène, changeant à chaque fois la façon de dire, de projeter ses mots alors que Benjamin, lui, improvise à chaque fois un nouvel accompagnement.

Le pianiste, dans ce dialogue inouï, est maître, selon sa fantaisie, du choix de son instrument, pianoforte ou claviers électriques et de la façon de le faire sonner, tout en restant à l’écoute de sa partenaire.

Claudia a beaucoup écouté Carmen Mac Rae chantant Thelonious Sphere Monk d’où la présence de In Walked Bud, Ask Me Now, Monk’s Dream sur cet album. Deux standards de la chanson populaire américaine, A Foggy Day et Cheek to Cheek sont ici traités d’une façon absolument neuvs. Le duo Solal/Moussay se les approprie tout comme Monk pouvait s’approprier Just A Gigolo Quant aux compositions personnelles, je laisse aux auditeurs le plaisir de les découvrir.

Cet album offre des plaisirs variés, multipliés, entre humour et mélancolie, classicisme et avant-garde, acoustique et électrique, le laissant à jamais dans un sentiment Misterioso.