Chronique

Claudine François

Lonely Woman

Steve Potts (as, ss), Claudine François (p), Jean-Jacques Avenel (b), John Betsch (d)

Label / Distribution : Futura

Est-ce pour échapper à un carcan parfois trop rigide que les musiciens classiques affectionnent le free jazz ? C’est possible, mais Claudine François, pianiste de formation classique, avait déjà élargi depuis longtemps son horizon musical ; c’est une jazzwoman de rencontres : l’enseignement, les spectacles musicaux, le théâtre, la danse… Et, quarante ans après l’hommage rendu à Ornette Coleman par le Modern Jazz Quartet, c’est à son tour de reprendre Lonely Woman comme titre pour un album en quartette.

La femme, éternelle solitaire devant la maternité ou la vieillesse ? C’est la question que semble poser la belle illustration de la pochette de Lonely Woman. Claudine François, en tous cas, est loin d’être seule dans cet album puisqu’elle est entourée d’une équipe qui a fait les beaux jours du free jazz. Steve Potts, « français » depuis les années 1970, est bien connu des scènes free, ce qui ne l’empêche pas de mener des expériences dans le milieu du cinéma ou de la « world » tout en se produisant régulièrement avec ses trois groupes. La contrebasse de Jean-Jacques Avenel a accompagné tellement de musiciens, qu’il serait plus rapide de citer ceux avec qui il n’a pas joué ! Quant à John Betsch, après une carrière bien remplie aux Etats-Unis, il a rejoint la France en 1985 où il a été, entre autres, le batteur attitré du trio de Mal Waldron, et il avait d’ailleurs déjà enregistré avec Claudine François Camargue, en compagnie d’un autre « waldroniste », Jim Pepper.

Même si le quartette interprète « Lonely Woman » et « Law Years », deux thèmes d’Ornette Coleman, l’album est davantage dans l’esprit de Steve Lacy, avec qui les trois « Lonely Men » jouèrent abondamment dans les années 1980. On trouve aussi le très beau thème « Seagulls of Kristiansund » de Mal Waldron, que ce dernier enregistra en duo avec… Steve Lacy, mais également avec Jean-Jacques Avenel sur One More Time… Et pour boucler la boucle, le quartet interprète également « Ugly Beauty » de Thelonious Monk, référence incontournable pour la plupart des pianistes free. A ces quatre thèmes phares de l’avant-garde s’ajoutent « Two for One », une composition de Steve Potts, « Something About You » et « Flying Eagle » que l’on doit à Claudine François.

Claudine François suit la trace de McCoy Tyner avec un emploi abondant de block chords comme dans « Law Years » ou « Two for One », et un jeu rythmique souvent parallèle à la batterie et à la contrebasse, dans « Lonely Woman » par exemple. Toutefois, son jeu est exempt de toute agressivité, ce qui est particulièrement flagrant dans ses introductions - voir « Something About You » et « Ugly Beauty » -, qui oscillent entre franc lyrisme et free sage. Jean-Jacques Avenel est égal à lui-même, avec des solos pleins d’entrain (« Two For One », mélodieux, l’introduction de « Lonely Woman » ou « Something About you ») et un jeu d’accompagnement efficace, mais discret. Il faut dire que la batterie de John Betsch est dynamique, puissante, voire légèrement bavarde ! Dans « Flying Eagle », « Lonely Woman » et « Two For One », le piano et la contrebasse semblent bien timides quand ils ne prennent pas leurs solos ! Quant à Steve Potts, sa prestation répond typiquement à celle que l’on peut attendre d’un saxophoniste free avec la saturation dans les aigus - « Law Years » -, les notes à la limites de la justesse - « Flying Eagle » -, les phrases qui alternent notes isolées et phrases débridées - « Two For One »… A l’alto, Steve Potts joue avec un soupçon de nonchalance qui met du piment dans ses solos - « Ugly Beauty » et « Lonely Woman ».

Une mention spéciale pour la superbe interprétation de « Seagulls of Kristiansund ». Après une introduction très sobre d’un thème qui se suffit à lui-même, Claudine François et John Betsch entament un dialogue passionnant où les aigus et les cordes du piano répondent aux « splash » du batteur, tandis que Jean-Jacques Avenel ajoute encore de la gravité au morceau quand il passe à l’archet. La tension qu’engendre l’interaction entre les trois musiciens culmine avec la reprise finale du thème où Steve Potts les rejoint, avant que le cri des mouettes ne vienne conclure définitivement ce morceau extatique…

Cette Lonely Woman dégage un léger parfum de nostalgie, comme un essai de revival free, qui nous fait prendre conscience qu’à l’épreuve du temps, même la révolution peut devenir classique…