Tribune

Cold War

Film de Pawel Pawlikowski, 2018


Film de Pawel Pawlikowski, Pologne, Royaume-Uni, France.
prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2018.

Il faut aller voir Cold War si l’on aime la musique.

Dans ce film de Pawel Pawlikowski, prix de la mise en scène au Festival de Cannes en 2018, elle tient en effet l’un des rôles principaux. Elle tisse la toile de fond de ce long métrage tourné en noir et blanc. Cet heureux parti pris dépeint le manichéisme du monde des années 1950/1960 écartelé entre l’Est et l’Ouest et crispé en deux blocs ennemis. C’est dans la Pologne de cette époque, coincée derrière le rideau de fer, que l’amour fou va surprendre Zula (Joanna Kulig) et Wiktor (Tomasz Kot), les deux protagonistes du film. Rien pourtant ne les y prédisposait. Seule la musique semble être le point commun entre la jeune artiste et le chasseur de sons. Elle chante et danse en costume traditionnel au sein d’un groupe folklorique polonais dont il est le pianiste arrangeur. La portée de ces spectacles collectifs n’avait pas échappé à Staline qui les érigea en parangon de la culture populaire et en vecteur de propagande.

En exil à Paris, Wiktor découvre le jazz. Dans les clubs, les musiciens en petites formations trouvent l’indépendance nécessaire à leur expression individuelle. La musique s’émancipe des carcans dans les compositions de Gershwin ou de Cole Porter et aux rythmes du be-bop. Les envolées improvisées, rageuses et passionnées, du pianiste désarçonnent mais nous parlent clairement de ces temps où le jazz était interdit à l’Est, victime collatérale de la Guerre froide. Tandis qu’à l’Ouest, il faudra attendre encore quelques décennies et la consécration des “musiques du monde” au début des années 1980, pour découvrir les canons des chorales slaves. Derrière Wiktor l’exilé, perché dans sa mansarde dominant les toits de Paris (la scène a en fait été tournée en studio) se déroule la bande son imprimée des élégies de Billie Holliday. Devant Zula, le public tout ouïe savoure les arrangements jazzy d’une chanson traditionnelle polonaise. Et nous, spectateurs de cinéma, partageons l’émotion.

Entre les menaces et les tourments géostratégiques de l’après-guerre et les affres de la passion amoureuse, la musique reste un langage universel. Le choix d’un fragment de la « Fantaisie impromptue » de Chopin le rappelle. Sur cet humain espéranto, le jazz souffle le vent de la liberté. Même si certains ne l’ont pas entendu de cette oreille.

Il faut vraiment aller voir Cold War.

par Martine Hermann // Publié le 9 décembre 2018
P.-S. :

Le réalisateur a collaboré avec le pianiste compositeur polonais Marcin Masecki qui signe les arrangements des compositions de Gershwin et Cole Porter interprétés dans le film.