Chronique

Corneloup/Labarrière/Goubert

Noir Lumière

François Corneloup (bs), Hélène Labarrière (b), Simon Goubert (dm)

Noir lumière file dans l’épaisseur de la nuit à la recherche de la clarté. La nouvelle formation du saxophoniste François Corneloup est un trio où se révèle tout de suite une atmosphère chaleureuse, fruit d’années de complicité avec Hélène Labarrière, côtoyée entre autres dans Les temps changent ou chez nato pour Buenaventura Durruti, et qui se nourrit aussi de cette brillante rencontre avec Simon Goubert ; on sait Corneloup friand de petites formations à grands improvisateurs, de Ducret à Chevillon, de Tchamitchian à Echampard. La distribution de ce Noir lumière a donc de quoi laisser rêveur.

La synergie de ces trois fortes personnalités, ici caractérisée par un travail très subtil sur les couleurs et les timbres, donne un volume presque tactile et pictural à la musique, comme si celle-ci était teintée dans la masse. La configuration particulière du trio, avec ce baryton unique capable de passer de la délicatesse la plus soyeuse à l’ostinato dévastateur, permet en effet de densifier une rythmique inexorable d’où le thème semble s’échapper comme la lumière jaillirait d’impénétrables textures.

En pensant à Matisse, qui en a défini le concept [1], ou à Soulages et son « outrenoir », il faut voir dans ce Noir lumière musical la recherche d’une couleur à part entière dans la noirceur apparente, une sensibilité ténue qui se découvre au fur et à mesure qu’on avance en profondeur, une abstraction des masses qui s’affrontent et se font mutuellement briller dans le reflet d’une lumière absente. Le Noir lumière de Corneloup se situe dans les interstices du silence, au creux même de la relation entre les musiciens, dans la polyrythmie discrète mais inexorable de Goubert comme dans la sensibilité de Labarrière. C’est sur cette base solide que le saxophoniste déambule en liberté, sans réclamer le leadership d’un triangle très égalitaire.

Avec « Colour Beginning », qui se trouvait déjà sur Next, enregistré avec son quintet dans une version plus vindicative, Corneloup amorce une discussion leste et languide avec la contrebassiste. Goubert se joint à l’échange pour y instiller un relief de métal, une griffure dans la densité, une musicalité supplémentaire, jusqu’à prendre un long solo inspiré. Telle une suite qui en fait le véritable pivot de l’album, c’est dans un fondu au noir que Labarrière reprend la parole sur « La nuit est un son » avant que Corneloup n’apporte une lueur chromatique qui transmute le noir, comme disait encore Soulages, pour qu’il devienne « émetteur de clarté, de lumière secrète ».

Parfois, le sax s’empourpre d’ostinati rageurs et trouve avec ses comparses un groove fiévreux, comme sur le remarquable « Cyrillique ». Ses phases colorées évoquent de longues errances nocturnes sur des route dépeuplées, une noirceur mystique porteuse de lueurs. C’est toute l’ambiance de « Noir lumière » qui ouvre et clôt l’album, au rythme du bolide courant sur les cordes de la contrebasse. Le baryton se fait doucereux avant de s’échauffer à mesure que la batterie affole le rythme et insinue de nouvelles couleurs dans ce noir profond.

Il faut louer le travail de Jacky Molard, ici préposé à l’enregistrement pour son label Innacor. Le violoniste, que l’on sait ingénieur du son méticuleux, capte avec précision l’esprit singulier de Noir lumière, surtout sur le final en solo d’Hélène Labarrière ; celui-ci parachève un album en tous points remarquable, comme un éternel recommencement. Un album qui s’écoute jusqu’au point du jour, et certainement au-delà.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 septembre 2010

[1En 1914, à propos de La porte-fenêtre à Collioure, à la limite de l’abstraction, le peintre utilise pour la première fois l’expression « Noir lumière », « évocation de la lumière aveuglante » (Cf. Centre Pompidou)