Chronique

Cruz-Garbowski Quartet

Rashômon Effect

Ivann Cruz (g), Kari « Sonny » Heinilä (ts, fl), Maciej Garbowski (b), Peter Orins (dms)

Label / Distribution : Circum Disc

En plaçant sous l’égide du Rashômon de Kurosawa leur quartet bicéphale, le guitariste lillois Ivann Cruz et le contrebassiste polonais Maciej Garbowski cherchent à montrer que la diversité des approches musicales peut mener à un même but, une direction commune, bien que sinueuse. Entre le guitariste du Circum Grand Orchestra et son comparse, qu’on a entendu aux côté de Tomasz Stańko ou de Terje Rypdal, les liens ne semblent pas évidents au premier abord. Leur rencontre au cœur du projet JazzPlaysEurope aurait pu rester sans suite. Comme dans le film du maître nippon, un même événement peut être interprété de quatre manières différentes…

Au gré des personnalités diverses, la réalité n’est qu’un moment de la perception. Autrui pourra la juger mensongère. C’est tout le sujet des « Parts » composées par Garbowski et des « Traps » de Cruz, autant de faces d’un même miroir. Afin de les accompagner, les musiciens ont chacun choisi un fidèle, comme pour donner plus de relief à leurs échanges. Cruz a désigné le batteur Peter Orins, avec qui il reconstitue donc deux tiers de TOC. La puissance galvanisée de leur entente ancienne teinte l’irrespirable « Trap I » de reflets métalliques, que Garbowski souligne de claquements secs. Si l’influence de Terje Rypdal se fait sentir, on pense aussi à un groupe comme Q, notamment lorsque Kari « Sonny » Heinilä fait son apparition. Le saxophoniste finlandais est, lui, l’invité du contrebassiste. Cet ancien de l’UMO Orchestra est également un grand connaisseur de la musique d’Europe centrale [1] ; son jeu lyrique est à plus d’un titre le point d’équilibre entre les deux univers.

Ainsi, après le souffle écorché de « Trap I », on le retrouve dans « Part II » pour un thème aux allures de folklore imaginaire, sur l’archet devenu apaisé de la contrebasse. Cet rencontre a priori improbable entre deux têtes est de celles qui enchantent les amoureux du jazz européen et fonde l’unité de ce dernier. En approfondissant un peu, on distingue, au-delà des différences, des points communs entre les deux solistes : avant tout, un goût pour les atmosphères denses et monochromes qui nourrissent un jazz très contemporain. C’est sans doute sur « Trap VI Part VI », qui amalgame les deux expressions dans un propos résolument lié, qu’il trouve sa plus limpide expression. Une approche classique ensuite, presque chambriste parfois, malgré l’électricité, lorsque Heinilä se saisit de sa flûte au milieu des cymbales d’Orins et des pizzicati profond de Garbowski. Il y a maintes manières d’atteindre son but. Rashômon Effect montre qu’aucun des chemins empruntés ici ne se révèle sans issue. A suivre donc, les yeux fermés.

par Franpi Barriaux // Publié le 8 septembre 2014

[1Voir son magnifique album Mosaïque, sorti en 2005, où on l’entend entre autres à la flûte traditionnelle hongroise, le kaval.