Entretien

Csaba Palotaï

Le guitariste hongrois vit en France depuis 1996

Csaba Palotaï © V. Bourre

Csaba Palotaï s’inscrit dans une double tradition du jazz hongrois : celle de la guitare, et celle de l’exil. Installé en France depuis 1996, il a côtoyé très vite les musiciens français de sa génération, comme Rémi Sciutto ou Thomas de Pourquery avant de poursuivre une voie très personnelle où se croisent le rock, le blues et le jazz le plus libre. On en avait eu un aperçu dans The Deserter, un album solo sorti en 2016 ; il transforme l’essai avec Antiquity un disque paru en trio sur le label Budapest Music Center. Rencontre avec un observateur et un acteur passionnant de la relation entre les musiciens hongrois et français.

- Csaba, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis un musicien né à Budapest, 17 ans avant que le mur du Berlin ne se soit effondré. J’ai commencé la guitare en autodidacte à sept ans, et puis à 14 ans j’ai commencé un apprentissage que je considère comme n’ayant pas fin. Jusqu’ici j’ai donc vécu 23 ans en Hongrie et 23 autres années en France.

- Qu’est-ce qui a motivé votre départ de Hongrie ?

J’avais en tête de partir depuis toujours. C’était nécessaire pour moi de voir ailleurs. Je suis parti dans un moment inattendu, en plein milieu de mes études du Conservatoire Liszt Ferenc. Pour être bref j’ai rencontré quelqu’un et je l’ai suivi jusqu’à Paris. Pour m’y installer d’une manière plus stable je me suis présenté au concours du CNSM : je ne suis pas rendu compte de l’importance de cette établissement à l’époque ! Ils m’ont pris (merci François Jeanneau !) et je n’avais plus de question à me poser. Ce fut une chance et un élément déterminant de pouvoir suivre ce cursus pendant 4 ans et de rencontrer de nombreux musiciens qui m’ont ouvert des portes…

- Cependant, vous restez très attaché à votre pays, notamment en publiant chez BMC. Pourquoi cette fidélité ?

Cette fidélité au Budapest Music Center est réciproque. Quand j’ai enregistré mon premier album avec le Grupa Palotaï en 2002 en compagnie de Thomas de Pourquery , Rémi Sciuto, Didier Havet et Nicolas Mathuriau, le label BMC n’avait pas encore la renommée qu’on connaît aujourd’hui. Ils étaient super ! On à travaillé ensemble et on a fait deux autres albums en 2005 et 2007.

Après j’ai fait d’autres choses, moins jazz, et j’ai participé à nombreux projets comme sideman. Les gens de BMC, entre-temps, ont bâti leur studio, leur club… Ils ont produit un tas d’albums avec des musiciens incroyables venus du quatre coins du monde. Puis il y a trois ans je suis revenu vers eux avec un album guitare solo, The Deserter, un projet enregistré à la maison. A ma grande surprise ils étaient très enthousiastes pour le sortir. Du coup ils étaient motivés dès le départ pour accompagner le dernier album nommé Antiquity, enregistré avec Rémi Sciuto et Steve Argüelles en mai 2018.

« à quoi bon devenir un vingt-cinquième Scofield, alors que tu pourrais être le meilleur Csaba Palotaï du monde ?! »

- Les guitaristes de jazz hongrois sont nombreux dans l’histoire, et même aujourd’hui. Comment l’expliquer ? Quel est celui dont vous vous sentez le plus proche ?

Je parlerai surtout d’un professeur et musicien, Gyula Babos, qui a disparu l’année dernière. Il était l’héritier des traditions tziganes, mais il avait une vision très contemporain du jazz et des musiques en général. Il connaissait très bien Elek Bacsik et Gábor Szabó, les deux guitaristes hongroiss les plus connus de l’époque 60’s-70’s. Il a formé plusieurs générations de guitaristes pendant 40 ans. Il à poussé tous ses élèves à inventer leur propre style. Il me disait avec humour : « à quoi bon devenir un vingt-cinquième Scofield, alors que tu pourrais être le meilleur Csaba Palotaï du monde ?! » .

Parmi les guitaristes hongrois, c’est de Gábor Gadó dont je me sens le plus proche… mais il est loin devant. Pour lui la musique est une pratique spirituelle. Chaque fois que je l’entends jouer ça me coupe le souffle .

- Votre univers est très personnel, avec des ambiances parfois désertiques et pourvoyeuses d’images. Comment composez-vous ? Quel est l’importance des images ?

Ce n’est pas une question facile. Je n’ai toujours pas compris comment ça marche réellement. Par exemple au conservatoire je n’étais pas le meilleur en composition. Je sais générer des images, mais chez moi elles arrivent après-coup.

En général, je pars du principe d’écrire ce que j’entends. Donc j’attends d’entendre ! Le reste, c’est que j’essaie d’enlever, d’épurer au maximum. Dans mon cas c’est peut être ça qu’on peut appeler « la composition » : décider ce qu’on garde.
Cette méthode d’épuration crée peut-être un espace imaginaire, comme les musiques de films. Mais ce n’est pas composer pour l’image, ce qui est une expérience très différente. J’ai fait ça de temps à autre pour des films, d’ailleurs, mais ça n’a marché que très rarement .

Csaba Palotaï © Franpi Barriaux

- Après un solo très introspectif, vous avez construit un trio avec des personnalités comme Steve Argüelles et Rémi Sciuto. Quel est la direction prise par Antiquity ?

L’inspiration de l’album était l’observation du processus par lequel notre monde se désintègre et se recompose sans cesse. D’ailleurs le titre « Antiquity » aide à raconter ça d’une manière indirecte.

Le rêve consistait à se retrouver avec Rémi et Steve, et de jouer un jazz basé sur notre énergie collective. Nous ne voulions pas articuler notre musique autour des solos. Nous étions plus attirés par l’échange, un ping-pong avec des éléments. L’absence de bassiste nous a forcés à abandonner les réflexes habituels. Rémi et Steve sont deux musiciens qui ont une forte culture du jazz, mais en même temps très ouverts vers la pop ou vers les musiques contemporaines. Nous avons invité l’excellent Vincent Segal sur deux morceaux. Tous les quatre, nous avons en commun d’être complètement dingues du « son ». Pour enregistrer l’album, nous avions la chance de pouvoir faire ça dans le studio de Steve. Et c’est lui aussi qui a enregistré et mixé l’album.

- Votre collaboration avec Sciuto est ancienne, il était dans votre Grupa Palotaï. Est-ce un orchestre que vous pourriez remonter ?

Parfois, quand je vois Didier Havet ou Thomas de Pourquery on plaisante sur l’idée d’un come-back tonitruant comme si c’était un groupe mythique interplanétaire. Ce groupe a eu une très grande importance dans ma carrière, mais je pense que la reformation n’est pas pour tout de suite.

- Quels sont les projets de Csaba Palotaï ?

Tout d’abord j’espère jouer beaucoup avec Antiquity ! Puis je fais partie des projets tels que Blind Seats, un trio rock instrumental avec Boris Boublil et Emmanuel Marée. On compose tous les trois, et on fabrique des morceaux qu’on enregistre par la suite avec un appareil à bande 8 pistes.
Je fais partie, également, du nouveau projet d’Yves Rousseau qui s’appelle Fragments. C’est un projet ambitieux qu’il a écrit à partir de ses idoles de jeunesse comme Pink Floyd ou King Crimson.

A titre plus personnel je passe pas mal de temps en compagnie de mes guitares acoustiques. Je travaille des Inventions de Bach et quelques Mikrokosmos de Bartók. Ces deux œuvres ont été écrites pour leurs fils respectifs. Ainsi, en faisant des adaptations pour la guitare, je me retrouve comme un enfant.