Chronique

Daniel Erdmann

Patchwork Dreamer

Daniel Erdmann, ts, ss ; Chérif Soumano, kora ; Francis Le Bras, p ; Johannes Fink, b ; John Betsch, dm. Alain Julien, vidéo.

Label / Distribution : Vents d est

Ah la belle ouvrage que voilà ! L’essentiel étant dit, avant de causer musique parlons image et aussi – que mot affreux – « packaging » : soit un double album, ou du moins deux disques enchâssés dans un « bel » étui. « Joli » serait plus juste, avec ce paquet de nouilles colorées et ces fils à tricoter des scoubidous. Ça en jette, mais en même temps, ça rejette. Car c’est bien peu informatif. Dommage ! Comme si on voulait rester entre soi, sur les seuls noms des musiciens énoncés – impeccables il est vrai. Mais on ne nous donne décidément pas assez d’éléments sur les rêves promis… Ceux-ci, tout de même, nous emmènent sur un autre continent - le Continent noir - dans un voyage vidéo (le second disque est un DVD) remarquable, filmé au Mali et en Guinée-Conakry par Alain Julien. Un vidéaste sensible, un musicien d’images au regard profond, attentif et attentionné.

Belle surprise et beau cadeau que ce film montrant une Afrique hors clichés – catastrophes, bizarreries, monstruosités politiques, pandémies et safaris pour bobos. La musique est toujours présente – c’est bien celle du disque – qui vient littéralement se marier ici avec de longs plans séquences que nos yeux saturés de « news » clippées ne savent plus apprécier. Quel ravissement que de contempler sans hâte ces mouvements, allées-venues, fourmillements du peuple africain dont on perçoit aussi les effluves sonores émergeant de la musique ! On se retrouve tantôt dans l’enfilade d’une ancienne voie de chemin de fer, tantôt dans celle d’une piste de latérite, quand ce n’est pas à un carrefour urbain, sur les rives du Niger ou au bord de l’océan. Avec ses odeurs de poisson fumé et d’ordures amoncelées – des odeurs visibles à l’image. Et ses enfants jouant au foot dans la rue. Ainsi défile l’Afrique, de son pas nonchalant – rien à voir avec cet homme africain [qui] ne serait « pas assez entré dans l’Histoire »… On est en plein dans l’histoire quotidienne, présente, prenante. Ça va, ça vient, ça vibrionne sur de pauvres claquettes en plastique ou sur des motos chinoises, portant fagots et bidons d’eau – cette punition de la femme africaine. En tous sens, en quête de sens. Un vrai regard anthropologique.

Au fait, vous vous souvenez : Anthropology, de et par Charlie Parker (et aussi Dizzy Gillespie). Histoire d’en revenir au premier disque – tout de même ! Daniel Erdmann tient les anches et la barre : la plupart des compositions sont de lui, ici mâtinées de la kora du Malien Chérif Soumano qui ouvre cette suite onirique et imprègne toute la bande, soutenue par une riche et subtile rythmique. La marque est imprimée et tiendra le patchwork, comme il se doit, entre unité et dissonances, formats et coloris, grille et écarts ; tandis que la harpe africaine donne au jazz un phrasé typé, évidemment, mais non exotique. Sans exclure les recentrages idiomatiques, en particulier, avec le dialogue Erdmann-Le Bras qui a déjà donné dans l’excellence. « Patchwork 3 » réconcilie tout le quintette autour d’une mélodie guillerette. Et l’affaire tourne au plus près des rencontres entre musiciens accomplis, en sachant éviter la tentation de la world music. Au bout du bout, on aura fait un beau voyage en audio et visuel. Au moins, ici, c’est dit !

par Gérard Ponthieu // Publié le 19 décembre 2011
P.-S. :


A propos de jazz et d’images, comment ne pas penser, par contraste, au fameux Carnet de route qui embarqua en Afrique aussi (1990, Label bleu) le trio Romano, Sclavis, Texier photographié par Guy Le Querrec ?