Scènes

Daniel Moreau à Koa Jazz

En solo au festival Koa Jazz


Photo © Frank Bigotte

En première partie d’Ambrose Akinmusire, c’est Daniel Moreau, pianiste montpelliérain et ancien membre du collectif Koa, qui introduit la soirée.

On trouve presque autant d’influences dans la musique de Daniel Moreau que de cordes dans son piano. Issu d’une famille de musiciens classiques, il est passé de ce langage à l’étude du jazz, puis s’est rapproché des musiques latines en allant travailler son instrument à Cuba. On le trouve aujourd’hui à la tête d’Ethioda (groupe de jazz éthiopien dont l’album Araray est sorti l’an dernier), et régulièrement dans des formations gospel, soul, funk, et jazz, bien sûr.

Assis au piano à queue de la Passerelle, il attend un long moment dans le silence attentif qui règne dans la salle, puis le rompt avec une seule note. Prenant tout son temps, il répète cette note plusieurs fois, jouant avec elle, lui donnant divers accents, diverses consistances. Enfin, le premier accord qu’il plaque donne à cette note toute sa saveur. Le premier morceau est léger, souple, un brin mélancolique, aux antipodes du second - une course amusée, rythmée et rebondie, d’une gaieté rafraîchissante.

Daniel Moreau © Frank Bigotte

C’est à partir du troisième morceau qu’on passe aux choses sérieuses. Autour de la musique modale d’Erik Satie, Daniel Moreau improvise des variations et tricote des arabesques dans une pièce qui cite plusieurs thèmes. A ce stade, on voit bien à quel point la frontière entre les styles peut s’amincir selon la personnalité du narrateur. Des incursions jazz se font entendre dans les mélodies de Satie par le biais de l’harmonie ou du phrasé, et on croit même parfois discerner une humeur éthiopienne.

Le récital se poursuit, et une marche est montée à chaque morceau. De compositions originales en reprises, on entend Trotignon, Jamal, on part en Afrique, aux Etats-Unis, en Amérique Latine. A un morceau doux et planant, à une enveloppe vaporeuse, succède un climat électrique et percussif ; Moreau entre en collision avec son clavier en faisant résonner des accords sombres, martiaux. Il va chercher l’orage des graves puis, tranquillement, repose le tout. A mesure qu’il alterne passages déjantés et moments lyriques, le jeu devient plus franc, plus osé.

Sur une introduction, on est surpris d’entendre les couleurs de la musique française ; sans savoir si on va retrouver Satie, Debussy ou Ravel, on se laisse emporter par un ostinato aux dissonances lumineuses dans les aigus, pendant que la main gauche joue une mélodie grave et par moments inquiétante. L’ambiance s’assombrit, puis s’ouvre à nouveau comme la lumière du jour quand les nuages passent devant le soleil. Le thème se dévoile enfin dans une grande clarté : c’est « Body And Soul ». Une magnifique version qui tourne autour de la mélodie et de l’harmonie non sans clins d’oeil à Keith Jarrett.

Le concert se termine sur une composition où Daniel Moreau va chercher de nouveaux timbres en allant étouffer les cordes sous le capot du piano à queue, ou en balançant le clapet d’une main sur l’autre, et résume en une pièce toute la musique qu’il vient de jouer pendant plus d’une heure. N’ayant dit mot jusqu’alors, il salue longuement, prenant ainsi son temps jusqu’à la dernière seconde, et finit par un discours très ému, plein d’humilité et de gratitude.
Il y avoue que c’était sa première expérience en solo ; elle nous a donné envie d’en entendre d’autres.