Chronique

Dave Liebman & Steve Dalachinsky

The Fallout Of Dreams

Dave Liebman (ss, ts, p, dms, fl, perc), Steve Dalachinsky (voc), Richie Beirach (p, 8, 14)

Label / Distribution : Rogue Art

Dave Liebman et Steve Dalachinsky ont bien des points communs. Ce sont des enfants de 1946. De l’après-guerre, donc. Ils sont tous les deux nés à Brooklyn. Et ils ont usé leurs fonds de culotte sur les mêmes trottoirs et leurs oreilles sur les mêmes disques. De jazz. Ce n’est pas une métaphore ; ils se connaissent depuis toujours et partagent la scène depuis des années. On s’étonne alors que The Fallout of Dreams, sorti sur le label RogueArt, soit leur premier album en commun.

Les textes écrits et dits par ce poète à la scansion bien particulière se marient admirablement, chez Liebman, à l’inspiration de l’instant. Au soprano et au ténor, bien sûr, à la flûte, on s’en doute… Mais aussi au piano sur le très tendu « Jackson Pollock’s Early Notebooks » et, plus étonnant, à la batterie sur « Cosmic », dédié à un autre poète, Jim Brodey. Les deux partenaires refont l’histoire à grands traits fulgurants en parlant une langue similaire. Les mots semblent infiniment malléables. Dalachinsky a le sens du rythme et du son, et son goût pour la répétition de phonèmes permet à Liebman d’explorer lui aussi toutes les directions possibles. On se rappelle que le poète a enregistré il y a peu The Bill Has Been Paid avec Joëlle Léandre ; un extrait de ce texte apparaît d’ailleurs ici, en toute fin d’album.

On retrouve sur The Fallout Of Dreams la même fougue, la même puissance donnée aux mots, qui savent parfois se faire ardents. Toutefois, il y a dans cette relation duelle avec Liebman quelque chose de plus apaisé. Ainsi, sur « The Leaves Are Changing », c’est d’une voix presque affable que Dalachinsky assène « The first best thing is to revolt » tandis que le pianiste Richie Beirach, vieux compère de Brooklyn, apporte la gravité de sa main gauche le temps de deux morceaux. Cette alliance est un carnet de voyage dans l’Amérique qu’on aime, celle qui lutte, qui pense, qui regarde aussi le temps qui passe avec une pointe de dérision et de nostalgie douce-amère. C’est toute la force de cette plongée dans l’enfance de nos deux figures new-yorkaises. On la revit avec eux, à côté d’eux, à regarder les cerisiers pousser, à guetter les bombes nucléaires et réécouter de vieux disques. Encore un peu et on croirait que c’était le bon temps.