Scènes

De cuivres et de cordes à Jazz à l’Ouest

Échos de la 27e édition du festival de l’agglomération rennaise - 2


Airelle Besson quartette à Jazz à l’Ouest

La vingt-septième édition de Jazz à l’Ouest bat son plein. Beaucoup de concerts ont lieu à guichets fermés. Dans toute cette effervescence, voici, faute de pouvoir tout suivre, quelques moments intéressants.

Vendredi 11 novembre (MJC Bréquigny)

Pas d’armistice pour le festival qui convie les amateurs à célébrer en musique la commémoration de l’arrêt des combats.

Dominique Carré quartette, NY Carré : Django Reinhardt revisité
Fidèle à son maître de toujours Django Reinhardt, Dominique Carré (guitares et composition) arrange, dans NY Carré (autoproduit, 2015), certains de ses titres en les passant au filtre du funk-rock : de quoi troubler ses admirateurs et ceux de son maître, mais aussi de quoi écouter ces classiques différemment. Il s’y ajoute quelques compositions originales.

Après une intro de Dominique Carré seul à la guitare acoustique, remarquable par sa légèreté et sa virtuosité, on entre dans le vif du sujet avec « Flèche d’or » dans une version électrique dans tous les sens du terme. Michael Jamier (batterie) et Pierrick Biffot (basse) rivalisent de vélocité et la classe de Carré éclate. Les puristes amateurs de Django frisent le nez, les curieux tendent l’oreille.

On enchaîne avec un blues transformé en « New Blues » (c’est souvent le cas quand les arrangements confinent à la composition) et « Pêche à la mouche », eux aussi électrifiés et parfois samplés. Accaparé par ses multiples réglages, Dominique Carré ne semble pas chercher le contact avec le public, pas plus que dans ses commentaires à l’allure un tantinet désinvolte.

Après ces titres électrifiés, un superbe « Nuages » est interprété à la guitare acoustique seule, son très nuancé, belle musicalité, un régal. « New Thing », avec une boucle enregistrée est de la même veine, l’envol du thème est magnifique. Toujours dans le même domaine, « Marée haute » est l’occasion d’un travail très fin à la batterie et à la basse. Guillaume Julien (guitares et sample), excellent tout au long du concert, y signe sans doute son solo le plus virtuose.
En rappel, « New Town » offre à Dominique Carré, qui semble enfin se lâcher complètement, l’occasion d’un énorme solo époustouflant.

Airelle Besson quartette, Radio One : sur les ailes des anges
Le concert commence par une sorte de prologue qu’on dirait issu de « Boo Boo », un titre ancien d’Airelle Besson. Sa trompette s’y avère d’une grande délicatesse, avec un jeu dans le souffle, soutenu par Fabrice Moreau (batterie) et Isabel Sörling (voix). Après l’entrée du piano de Benjamin Moussay (piano, claviers, Fender), la trompette, somptueuse dans les graves, semble nous inviter dans un univers onirique. Isabel Sörling tire le morceau vers le lamento avec une intonation pathétique renforcée par une gestuelle de souffrance, elle-même soulignée par sa tenue vestimentaire, ample robe noire, cheveux épars et dénoués.

Airelle Besson par Jean-François Picaut

Et tout à coup s’élèvent les premières notes de « Radio One », le titre éponyme du dernier album d’Airelle (La Girafe / Naïve, 2016) à la mélodie et au rythme si prenants qu’ils s’installent dans votre oreille pour la journée et c’est un bonheur. C’est un bijou d’équilibre entre les voix du quartette et l’occasion d’apprécier la cohésion entre la paire claviers-batterie et le couple voix-trompette. « All I Want » commence par un prélude très délicat au piano puis un duo Fender et voix entre douceur et douleur. Ensuite on retrouve avec plaisir le chant lumineux de la trompette.

« Neige », tiré de Prélude avec Nelson Veras, ici repris en duo, est l’occasion d’un subtil dialogue entre Airelle et Benjamin Moussay. La trompette qui semble danser fait le charme acidulé de « Candy Parties » sur des arabesques rythmiques de Fabrice Moreau que l’on apprécie aussi dans un subtil dialogue avec le piano de Moussay sur « Envol », un nouveau titre. Une figure que l’on retrouve dans « The Painter and the Boxer » où les voix croisées d’Isabel Sörling et de la trompette se mêlent au dialogue.
« Around the World » s’ouvre par un long prélude au piano, d’abord méditatif puis lumineux avant de s’assombrir et de s’apaiser. Isabel Sörling y entre avec de simples sons espacés qui se muent en un chant délicat relayé par la trompette élégiaque, ponctués de quelques accords de batterie avant de se déchirer en un cri.

La boucle est fermée avec « No Time To Think » qui rappelle « Radio One » par certains côtés. On apprécie dans ce morceau lumineux au rythme sautillant tout le brio d’Airelle Besson à la trompette et la dentelle polyrythmique de Fabrice Moreau. Et, comme il se doit, le rappel reprend toutes les qualités de ce concert en un bouquet final offert aux spectateurs.

Radio One a beaucoup évolué depuis sa création à Jazz sous les pommiers (2015) et on a l’impression d’un chemin vers toujours plus d’épure. Ce que nous avons entendu ce soir semble nous conduire sur les ailes des anges vers une cérémonie dont nous sommes les invités privilégiés.

Mercredi 16 novembre 2016 (Champs libres)
Dexter Goldberg trio : swing et musicalité
Depuis sa création en 2014, le Dexter Goldberg trio n’a cessé de travailler. Cela se sent dans sa musique et dans la cohésion humaine du groupe. La réussite de ce que nous avons entendu aujourd’hui nous fait attendre avec impatience la sortie imminente du premier album. On est frappé par le superbe équilibre entre les trois instruments, la subtilité du jeu sur les timbres et la richesse du son.
« Rainbow » commence par une introduction au piano seul qui met en évidence les qualités de coloriste de Dexter Goldberg. Kevin Luchetti (batterie) y brille par un travail tout en douceur. C’est aussi cette qualité qu’on retrouve dans « Tell Me Something New » où il excelle à varier les climats en jouant à mains nues sur ses peaux.

« RER B » est plus que jamais une pièce cinématographique. Aujourd’hui, ce titre est précédé d’une nouvelle composition pour piano seul qui pourrait bien en devenir le prologue. C’est une véritable oasis de calme, à l’allure champêtre avec un zeste de sentimentalité. Une parfaite antithèse à la frénésie de « RER B ».
« Wave of Sound », une nouvelle composition également, est un concentré de ce concert. Kevin Luchetti y déploie la variété de ses talents en jouant sur la vibration des sons. Bertrand Beruard (contrebasse) y allie musicalité et qualités rythmiques. Dexter Goldberg entre fluidité du jeu et swing impeccable, maîtrise du tempo, ampleur du jeu et musicalité ; nous donne la quintessence de son talent.

Mercredi 23 novembre 2016 (MJC Bréquigny)
Percepción : de longues compositions impressionnistes
C’est un quartette franco-mexicain qui ouvre une des grandes soirées du festival. Il est accompagné sur scène par un peintre mexicain, Oscar Hernández, qui traduit immédiatement en images, projetées en fond de scène, les sons qu’il entend.
Jean-Michel Pinot (saxophones ténor et alto, flûte), Julien Fleury (soubassophone), Alan Fajardo (trompette) et Juan Pablo Aguirre (percussions) jouent une musique au son très travaillé à l’électronique, volontiers granuleux, voire âpre et rugueux.
Il n’aura peut-être manqué à ce quartette de talent que de se préoccuper davantage de s’adresser au public.

Avishaï Cohen quartette, Into the Silence : la vertu de l’ellipse
Il est celui que le public attend, venu nombreux sur la foi de son dernier album, Into the Silence (ECM, 2016).
Par contraste avec ce disque très méditatif, qui suit la mort de son père survenue six mois plus tôt, Avishaï Cohen (trompette) démarre ce concert en trombe avant un passage plus apaisé avec Yoni Zelnik (contrebasse) et Ziv Ravitz (batterie) qui cède la place à un autre trio, piano (Yonathan Avishaï), contrebasse et batterie. Avishaï Cohen revient dans le jeu, la tête dans la caisse du piano. Sa trompette volontiers plaintive joue avec les vibrations des cordes. Tout le disque et tout le concert sont parfaitement résumés dans cette ouverture.

Avishaï Cohen par Jean-François Picaut

L’élégie est le maître mot de cet album qui est une méditation sur l’absence exprimée par la dilatation du temps et l’expansion des silences. Elle culmine sans doute dans le lamento à la trompette bouchée de « Life and Death » mais on la retrouve aussi dans « Dream Like a Child ». A la mélodie plus légère de l’introduction, qui réunit le piano et la trompette, succède un trio sans trompette très recueilli.

Ziv Ravitz signe dans « Into the Silence » un long solo d’anthologie : jeu sur les sonorités des différentes caisses, sur la vitesse, le tout délicatement ponctué par les cymbales. Et le concert s’achève avec « Quiescence », concentré de l’album et de la soirée : la plainte de la trompette s’exhale en un souffle mélodieux, avec de longues tenues, tandis que le trio reste sur une sorte d’ostinato rythmique dans un temps distendu à l’extrême.