Tribune

De l’Or net

E-nepties et déraisons : Ornette Coleman


Ornette Coleman. Lonely Woman .

Sur un 45T (c’est pas d’aujourd’hui !) du Modern Jazz Quartet, la bande du maître John Lewis et de l’élégant Milt Jackson au vibraphone…
Saisissement ! Ça se glisse, ça s’instille et sans crier gare (on ne peut plus se fier à la SNCF) ça s’empare de moi. J’adore ce morceau de… oui, de qui ? Ornette Coleman, dit l’étiquette… connais pas.
Mais c’est une musique qui ne me quittera plus.

Sur un banc, au bord de l’Hudson ou de la Sèvre Niortaise (va savoir !), elle est là la femme seule dans son manteau vert solitaire. La nuit tombe, le brouillard aussi. Elle est seule…
Du moins le croit-t-elle, inconsciente de la présence sournoise et voyeuse de ce salaud de narrateur omniscient et omnichiant.
Se jettera-t-elle ? Lui le sait mais elle, elle hésite.
Et puis il y a ce sax qui chante exactement ce qu’elle se met à oser penser ; elle trouve les mots, ils lui viennent à la bouche en même temps que vibre l’anche. C’est décidé, elle sautera pas ; cette ligne mélodique a une telle résonance en elle qu’elle sait qu’elle doit suivre cette voix. La première groupie pour Ornette !
Bon sang, mais c’est bien sûr, ce n’était ni l’Hudson ni la Sèvre Niortaise, ça se passait sur les bords de la Weser, pas loin de Hamelin (Hameln en V.O) !

Bricolage avec 3 potes et les moyens du bord : une trompinette et un sax en plastoc.
Quartet d’occase, miteux ? Hé ! Y’a quand même une vraie contrebasse et une batterie complète, c’est pas la barrique renversée et le manche à balai ni la planche à laver et les dés à coudre ! Comme un dingue, Ornette souffle sans trêve et, sans le savoir, à son sax défendant, il tisse les premières notes d’un étendard [1]. Heureusement, il n’en sait rien, ça l’aurait gonflé. Au passage, sans se poser de questions vaseuses (suis-je tonal ou atonal ? dodécaphonique ou sériel ? rien à foutre…) il se tricote une théorie ou grille musicale tout neuve. Il sait pas encore que c’est l’Harmolodie qu’on raillera, ignorera ou (plus rarement) encensera.

Il y a plein de versions. Ils ont tous cru voir la même L.W. A vous de juger !
Quelques-unes : l’original d’Ornette (évidemment), celle du MJQ (bien sûr), le Zürich International Festival All Stars, Brad Mehldau, Joshua Redman, Brandford Marsalis, John Zorn, Sophia Domancich, etc… [2]

par Biyet Dumeur // Publié le 22 mai 2016

[1On l’appellera Free Jazz, puis par commodité Free tout court (original, non ?).

[2Albums The Shape of Jazz to Come, Lonely Woman, From Europe with Jazz, Modern Music, Momentum, Random Abstract, Naked City, Triana Moods respectivement.