Tribune

De quoi le jazz est-il le nom ?

La musique de Jazz semble poser depuis longtemps un problème de dénomination. C’est pourquoi il n’est pas inintéressant de poser la question « à la Bourdieu »…


La musique de Jazz semble poser depuis longtemps un problème de dénomination. C’est pourquoi il n’est pas inintéressant de poser la question « à la Bourdieu » : De quoi le jazz est-il le nom ? Souvent nommée, mal dénommée, cette Grande Musique a occupé et occupe toujours tous ses acteurs et en particulier toutes celles et ceux qui se sont attachés à lui trouver une définition.

La musique de jazz semble poser depuis longtemps un problème de dénomination. C’est pourquoi il n’est pas inintéressant de poser la question « à la Bourdieu » : De quoi le jazz est-il le nom ? Souvent nommée, mal dénommée, cette Grande Musique a occupé et occupe toujours tous ses acteurs et en particulier toutes celles et ceux qui se sont attachés à lui trouver une définition.

Je rappelle que Miles Davis disait qu’il ne reconnaissait pas le vocable jazz, il jouait de la musique africaine-américaine ; d’un autre côté et avant lui, Louis Armstrong répondait invariablement à la question « qu’est ce que le jazz ? », « si vous le demandez c’est que vous ne la saurez jamais ». Aujourd’hui encore certains s’acharnent à vouloir opposer un Jazz « pur » à un Jazz, à leurs yeux, dévoyé.

Je rappellerai trois choses :

1. que la Pureté est habitée par le diable !
2. que la Beauté, c’est la symétrie + un défaut.
3. que la Pureté change avec le temps. Celle d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui, encore moins celle de demain.

Il appert dès lors que nous sommes placés face au Jazz devant l’alternative suivante :

1ère prémisse : Le jazz est un moment dans l’espace-temps musical. Classifié, formaté et en quelque sorte fossilisé, à l’instar de la musique romantique ou baroque, il vit et survit dans une sorte de musée musical et se diffuse, à ce titre, comme une nostalgie. Le jazz est alors musique de répertoire, fait éminemment noble, mais qui le place définitivement sur le même plan que les langues comme le latin ou le grec ancien, langues mortes s’il en est. C’est pourquoi MM. Panassié d’abord, puis Jalard ensuite ont décidé que le jazz était mort, l’un avec la naissance du be bop vers 1940, l’autre avec la mort de John Coltrane en 1967. Le jazz est dès lors perçu comme une musique du siècle dernier avec comme référence principales Armstrong, Ellington, John Coltrane (peut-être), les Marching bands, les orchestres qui font danser, les « pianos bars »… Le fameux « jazz pur ». Celles et ceux qui pensent cela n’ont pas tort, c’est leur choix. Pour ma part, je pense que cette approche est très insuffisante. Elle oublie tout le caractère du mariage magique entre la mémoire africaine et la musique occidentale, qui perdure, à voir et à entendre tous les musiciens de jazz.

Seconde prémisse : Le jazz est un Domaine Musical à part entière caractérisé par son Essence. En effet, par quoi le jazz et les musiques improvisées qui lui sont attachées, apparaissent-ils ontologiquement différents de la musique ou des musiques « conventionnelle(s) » ?

Par la Structure ? La musique dite « classique » est construite, architecturée, mise en ordre, et ce depuis longtemps, bien avant la naissance du jazz. Une sonate, un concerto, une symphonie sont autant d’exemples de constructions harmoniques organisées autour de schémas, de squelettes, d’articulations capables de recevoir la « chair animale ». Le passage de la tonique à la sous-dominante d’une gamme ; retour à la tonique, rebond sur la dominante et résolution sur la tonique, est une des structures, des cadences, que l’on trouve à chaque détour de la musique classique. Refrain, couplet, refrain, anatole… sont d’autres possibilités de constructions musicales. La structure modale elle-même, je veux dire celle qui consiste à jouer sur des modes plutôt que sur des grilles harmoniques était déjà l’apanage, voire l’invention des grecs et/ou des musiciens orientaux. Ne parle-t-on pas de mode phrygien, lydien, dorien… En d’autres termes la musique s’est toujours construite autour de trames repérables et identifiables. Une taxonomie s’ensuit dans laquelle le Jazz trouve sa place. « Coucou » du XXe siècle, le jazz vint se nicher au creux de la grande musique. Les « cadences » du Jazz sont la plupart du temps celles de sa sœur aînée.

Par la Mélodie ? La grande majorité des thèmes de Jazz sont, et ce dès le début, des reprises des chants entendus par les esclaves, soit dans les lieux d’habitation de leurs maîtres, soit dans les églises qui leur étaient réservées, et dans lesquelles on leur apprenait les chants presbytériens. Plus tard, des années après l’abolition de l’esclavage, les noirs côtoieront sur les chantiers, dans les villes, d’autres hommes, d’autres femmes, d’autres expressions musicales, d’autres airs à la mode. Les valses de Chopin, ses mazurkas, entendues sur des pianos bien souvent désaccordés chez les Blancs ou les Créoles de la Nouvelle-Orléans, pourront à coup sûr donner des idées aux nouveaux venus avides de construire une nouvelle musique, un nouvel art de communiquer. On retrouve dans le jazz les leitmotive chers aux classiques.

Par le Rythme ? Le fait que l’on trouve dans la musique de jazz des percussions ou des instruments capables de placer des lignes de basse sur lesquelles s’articule le discours n’est pas forcément nouveau, quoiqu’apparaisse là, peut-être, un premier réel élément de différenciation. Malgré tout, le discours syncopé existait déjà dans certaines musiques, dont celle de Bach par exemple. Les percussions sont présentes dans les œuvres classiques, les grandes symphonies, les opéras, certaines pages de Haydn et de Haendel pour ne citer qu’eux. Il est vrai qu’elles sont là essentiellement pour permettre aux autres musiciens de respecter la métrique de leur interprétation, moins pour donner de la couleur au propos musical.

Par l’Improvisation ? Là aussi nous nous heurtons à une difficulté de taille. Le jazz n’est pas la seule musique improvisée. En effet certaines autres musiques, indiennes en particulier, connaissent l’improvisation et nourrissent leurs interprétations de variations instantanées. D’autant plus, a contrario, que le jazz dans sa préhistoire et dans les premières années de son histoire n’était pas qu’une musique improvisée. Le blues archaïque par exemple n’était bien souvent que la reprise par les anciens esclaves noirs de complaintes et de mélopées entendues çà et là, chantées par leurs maîtres blancs sans aucune improvisation sinon celle des paroles. Les Noirs jouaient et chantaient autrement ce qu’ils entendaient autour d’eux ; ils le faisaient à leur manière.

Et c’est pourquoi toutes les musiques improvisées à tendance jazz occupent, elles aussi, le champ du Domaine musical ainsi défini. Mais finalement, si sa structure, sa pulsation, son caractère imprévisible donnent au jazz sa pluralité, il faut y ajouter ce qui lui donne sans doute toute son originalité, je veux parler du son, sensation magique et hypnotique de cette musique. Le choix est là ; il faut vite se décider afin de dénommer à nouveau cette Grande Musique et sortir ainsi de la nébuleuse des « musiques actuelles ». Le jazz et les musiques improvisées à tendance jazz habitent un véritable écosystème qui ne demande qu’à durer pour peu que nous le définissions avec précision et que nous nous en occupions avec le plus grand soin.